Devenir entrepreneur du spectacle vivant lorsqu’on est artiste ? La tentation peut-être grande. Elle peut se révéler pourtant pleine de chausse-trapes. De quoi réfléchir avant de se lancer dans une aventure périlleuse.

Être artiste et entrepreneur de spectacles ? L’idée n’est pas nouvelle et peut même se réclamer d’exemples prestigieux. Pensons simplement à Molière : à la fois directeur de théâtre, patron de troupe, auteur et comédien. Aujourd’hui, il s’agit surtout de pouvoir assurer soi-même la promotion de ses spectacles, de les faire tourner, et finalement de les vendre. Et puis, devenir l’entrepreneur de ses propres spectacles, cela permet aussi de constituer autour de soi une véritable petite troupe, par exemple lorsqu’on est chanteur et que l’on a besoin d’instrumentistes sinon permanents, du moins réguliers. Enfin, le statut d’entrepreneur de spectacle permet aussi de bénéficier d’aides publiques. L’idée peut même paraître irrésistible… Au début.

Bien entendu, il ne s’agit pas ici du statut d’auto-entrepreneur. Un entrepreneur du spectacle est soumis à un cadre extrêmement réglementé. C’est le système de la licence, obligatoire pour tous ceux qui organisent plus de six spectacles par an. Cette licence est personnelle est incessible.

En fait, depuis la loi du 18 mars 1999, il y a trois licences d’entrepreneur :

  • La licence 1 qui concerne essentiellement les exploitants de lieux de spectacle.
  • La licence 2 pour les producteurs.
  • La licence 3 pour les diffuseurs.

Bien entendu, c’est la licence 2 qui intéresse les intermittents. Cette licence doit être demandée à la Direction régionale de l’action culturelle. Le dossier à fournir doit comporter certaines pièces justificatives (fiche d’état civil, éventuellement diplômes et/ou attestations d’activité professionnelle et artistique, immatriculations…). Après passage devant une commission ad hoc, le préfet de région délivrera la précieuse licence, qui sera renouvelable trois ans plus tard.

Les DRAC en question

Légalement, rien n’interdit à un intermittent de devenir entrepreneur de spectacle. Dans la pratique, les choses sont nettement plus compliquées, voire kafkaïennes.

D’abord, et comme on pouvait s’y attendre, si rien n’interdit à un artiste de produire ses propres spectacles, la chose est plutôt mal vue de Pôle Emploi qui peut en profiter pour vous radier (puisque vous êtes censé avoir une autre activité), voire vous demander de rembourser un supposé trop-perçu d’indemnités. Quand cela court sur plusieurs années, on peut imaginer les sommes réclamées. Rares sont ceux qui passent à travers le filet des contrôles à répétition. Devant ce gros risque, certains vous conseillent donc de demander conseil à la DRAC. Demander conseil à la DRAC ? L’avis ne fait pas l’unanimité, loin de là. « La DRAC, c’est Big Brother », lâche crûment Éric, chanteur folk, titulaire de sa licence depuis quatre ans. « Pour le renouvellement de ma licence, j’ai eu droit à une véritable inquisition. C’est tout juste s’ils ne se prenaient pas pour le fisc. Pour justifier de mon activité artistique des années passées, sans même parler des cachets, il m’a fallu rechercher des affiches ou des articles de presse, comme certaines associations ne m’avaient pas signé de contrat de travail dans les règles. Et puis ma structure est plutôt légère, fournir une DADS (déclaration annuelle de données sociales) représente une vraie charge de travail supplémentaire, et, comme je n’ai pas les moyens de me payer un comptable…».

Il est vrai que, dans certaines DRAC, on conseille tout simplement aux intermittents concernés d’abandonner leur licence au profit d’une personne non concernée par l’intermittence. Le conseil vaut un aveu. Etrange dispositif, qui prétend soutenir le spectacle et l’étouffe dans des exigences toujours plus dissuasives. Pour Éric, « on a commencé par massacrer les intermittents, maintenant on massacre les employeurs ». Et la besogne est encore plus facile quand les intermittents se mêlent de devenir employeurs.

Serge PLÉNIER