Le Théâtre de la Huchette va-t-il mourir ? Va-t-on arrêter de jouer « La Cantatrice chauve » et « La Leçon » de Ionesco après 55 ans et plus de 17 000 représentations sans interruption ? L’explosion de l’immobilier parisien va-t-elle tuer une scène mythique ? La question est aujourd’hui sérieusement posée.

Situé au cœur du Quartier Latin, le Théâtre de la Huchette est une institution, aussi bien par ses origines que par sa programmation. Mondialement connue, c’est d’abord la dernière en activité de ces petites salles créées au Quartier latin au lendemain de la guerre pour faire jouer de jeunes auteurs d’avant-garde par de jeunes acteurs. Y seront créées par exemple des œuvres d’Audiberti, de Schéhadé ou de Claude Mauriac. De même, des comédiens aussi divers que Jean-Louis Trintignant, Jacqueline Maillan, Jean-Paul Belmondo ou Antoine Vitez y feront leurs premières armes. Surtout, c’est la seule institution à programmer toujours deux œuvres majeures du théâtre contemporain, sans oublier la création. Depuis le 9 novembre dernier, outre les deux pièces d’Eugène Ionesco, on y donne aussi chaque soir « Un banc à l’ombre » de Sasha Pairon, monté en coproduction, une pièce écrite avant les dernières révolutions arabes mais qui a pris une actualité inattendue. Enfin, il ne faut pas oublier les lectures d’auteurs contemporains qui sont aussi une tradition du théâtre.

Une institution dans la tourmente

Cette institution, qui s’est jusque là maintenue sans subventions de l’Etat, est aujourd’hui aux prises avec de graves difficultés de trésorerie, en dépit de sa réussite. Le loyer de la salle a été multiplié par deux depuis quinze ans, tandis que les tarifs sont restés relativement stables. « Nous avons un public jeune sans beaucoup de moyens, explique Gonzague Phélip*, l’un des membres fondateurs de l’association « Les Amis du Théâtre de la Huchette ». Pour la plupart c’est le premier spectacle qu’ils voient : on ne peut augmenter indéfiniment le prix des places. Et puis, la salle ne compte que 90 places. La portée financière d’un succès reste forcément limitée ». A cela il faut ajouter la crise actuelle qui a provoqué une érosion de la fréquentation comme en connaissent tous les théâtres. Pour sortir de l’étau financier, l’association des Amis du Théâtre de la Huchette a lancé un appel public aux spectateurs et, comme l’indique son communiqué, « à tous ceux qui veulent que ce lieu continue sa vocation de théâtre « d’Art et d’essai »». « Pour l’instant, les résultats sont encourageants, mais nous sommes encore loin du compte », affirme Gonzague Phélip qui évoque aussi un dossier de recherche de mécénat, parti en début décembre. Du côté des pouvoirs publics, des contacts ont été pris avec le ministère de la Culture pour demander une aide pour l’association, mais aucune réponse n’est encore arrivée.

Pour continuer

Les soutiens purement ponctuels sont donc nécessaires au Théâtre de la Huchette, mais ils ne seront à l’évidence pas suffisants pour assurer la poursuite de son activité. L’objectif immédiat, selon l’association, est bien entendu d’apurer les dettes, mais il faut aller plus loin et prévoir des ressources pérennes hors billetterie, qu’il s’agisse de subventions ou de mécénat. Ces ressources nécessaires sont évaluées à 50 000 euros par an. En effet, outre l’apurement de la dette et le paiement régulier des charges locatives, il faut rénover et moderniser une salle qui n’a pu l’être depuis une dizaine d’années. Cela va des fauteuils et de la moquette à l’éclairage de scène. Il y a aussi ce bureau situé dans l’enceinte même du théâtre et qui permettra de mieux centraliser la partie administrative. Pour Gonzague Phélip, l’objectif est de produire de deux à trois pièces d’auteurs contemporains par an. « Nous faisons appel aux autres, mais cela nous remet en question ». En somme, pas question de s’en tenir à une routine, ni de vivre sur ses acquis. Est-il optimiste ? « En tout cas, ça bouge. Les gens sont visiblement très attachés à notre théâtre. Bien sûr, nous sommes une petite chose, mais une petite chose qui compte ». Après tout, comme le disait Eugène Ionesco : « Un grand succès dans un petit théâtre vaut bien mieux qu’un petit succès dans un grand théâtre et encore mieux qu’un petit succès dans un petit théâtre. »

* Gonzague Phélip a écrit : «Le Fabuleux Roman du Théâtre de La Huchette» (éditions Gallimard)