En matière de création intellectuelle, tout va-t-il pour le mieux dans le meilleur des e-mondes possibles ? C’est ce que l’on pourrait déduire du discours prononcé, le 24 mai dernier, par le ministre de la culture, à l’occasion du « e-G8 », un sommet organisé en marge du G8 par Maurice Lévy (Publicis), à la demande de Nicolas Sarkozy. Dans ce discours, Frédéric Mitterrand trace la « ligne dont la France continue de se faire l’avocate » : « Favoriser la diffusion des œuvres dans l’univers numérique tout en respectant le droit d’auteur ».

À cet égard, le ministre paraît quelque peu optimiste, lorsqu’il déclare : « on a pu craindre que l’âge du droit d’auteur, par exemple, menaçait de s’éteindre. L’essor des réseaux contributifs et des réseaux sociaux a pu également accentuer la tendance à accréditer ce mirage de la gratuité où les notions d’auteur et de créateur étaient appelées à se diluer. À tous points de vue, cette phase est, me semble-t- il, derrière nous. »

Il n’apparaît pourtant pas que la question des droits d’auteur sur la toile soit encore réglée : Frédéric Mitterrand en convient d’ailleurs lui-même en évoquant « les risques inhérents à ce qui est bien plus qu’une phase de transition technologique » « Les règles du jeu, constate-t-il, ne se sont pas encore stabilisées, les modèles économiques se cherchent, le rôle des pouvoirs publics se redéfinit. » Dans cette optique, le ministre travaille sur trois axes principaux : « Ne pas perdre la médiation de vue ; accompagner au mieux les filières qui connaissent des transitions délicates ; garantir au mieux, enfin, le financement de la création. »

Un flou même pas artistique

On n’est pas plus avancé, en particulier quant au dernier point. « Protéger les droits des créateurs, c’est tout simplement veiller à ce que la source même de la valeur ne soit pas reléguée à une préoccupation secondaire par ceux qui auraient intérêt, souvent dans des stratégies de court ou moyen terme, à préserver l’illusion de l’accès. Le succès rencontré par le déploiement massif des offres légales en matière de musique en ligne a montré que les habitudes en la matière pouvaient changer, et ce sont là très probablement des pistes à suivre pour l’audiovisuel et le livre », explique le ministre, qui précise : « L’action de la haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) est précisément de participer à cette prise de conscience. »

Rien ne prouve cependant qu’elle en soit à l’origine. Frédéric Mitterrand s’appuie sur les exemples britannique (avec le Digital Economy Act) et espagnol (avec la loi sur l’économie durable) pour se réjouir de ce que « le principe même de la protection du droit d’auteur ne fait plus question » : alléluia ! Mais il remarque que « ce sont plutôt les modalités effectives de la protection et du ciblage de la prévention qui sont discutées ». En somme, on est d’accord sur le principe, reste à savoir comment on l’applique…

Autre souci du ministre : éviter la « perte de sens » résultant de la « profusion » des contenus sur la toile. D’où la nécessité d’inventer de « nouvelles formes de médiation », « pour que le sens puisse se marier de nouveau à l’accès. L’éducation à l’image, les communautés de goût également, nous ouvrent des pistes qu’il nous faut mieux explorer, loin des logiques du profit immédiat. » On reste dans un flou même pas artistique…

Pour finir, Frédéric Mitterrand insiste sur l’importance de la dimension européenne de l’« engagement » qui doit être pris « pour accompagner le tournant numérique de l’économie de la culture ». En somme, l’État passe la main à l’Europe. Et pour cause ! Sa possibilité d’action est réduite en raison de la dimension même de la toile et de la réticence des acteurs à laisser les lois encadrer cet espace de liberté.

Il ne faudrait pourtant pas qu’Internet ne connaisse pas d’autre loi que celle de la jungle numérique. Un vœu pieux ?

Éric DUMONT