On l’aime bien le brigadier. On l’aime bien, mais on en a peur. Pour les machinos, pour les artistes dans leur loge ou déjà en coulisses, pour le patron du théâtre aussi, il annonce de ses trois coups que le recours en grâce a été rejeté, que plus rien ne peut arrêter l’inéluctable, c’est à dire le spectacle.

 

Le brigadier, c’est ce drôle de bâton dont la poignée de velours rouge est fixée par des clous dorés. Manié par le régisseur au début du spectacle, c’est avec lui qu’il ouvre la représentation. Son nom vient de l’ancien nom du régisseur considéré comme le chef de la « brigade » des machinistes. Par métonymie, le nom a été donné au morceau de perche dont il se servait. Au fait, pourquoi trois coups ? Les auteurs varient là-dessus. Certains prétendent qu’il s’agit à l’origine de trois saluts : l’un vers le roi (côté jardin), l’autre vers la reine (côté cour) et le troisième vers le public. Cependant, d’autres auteurs affirment que les trois coups se réfèrent à la Sainte Trinité. Ce serait un héritage des « mistères » et « miracles » médiévaux. D’autres prétendent que les neuf coups rapides qui précèdent ajouteraient une référence aux apôtres : onze coups au total (les Douze sans Judas). La chose est d’autant plus vraisemblable que le premier théâtre fixe parisien, l’Hôtel de Bourgogne, a d’abord appartenu aux « Confrères de la Passion et de la Résurrection de Notre Seigneur Jésus-Christ ». Lorsque les pièces religieuses furent interdites par le Parlement de Paris, les Confrères obtinrent en compensation le monopole des spectacles profanes et louèrent leur salle de la rue Mauconseil à des troupes de comédiens. Ils cessèrent de jouer mais se firent une confortable rente. A la Comédie française, les trois coups sont redoublés pour rappeler la fusion entre l’ancienne troupe de Molière (qui avait déjà absorbé celle du Théâtre du Marais) et la troupe de l’Hôtel de Bourgogne, en 1680. Aujourd’hui, certains metteurs en scène se passent volontiers des trois coups. On peut le regretter : la magie du théâtre y perd sans que la qualité du spectacle y gagne.