garandeauUn entretien avec Éric Garandeau, président du Centre National du Cinéma et de l’image animée.

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Monsieur Garandeau, où en est la ponction de plus de cent millions d’euros (on a même parlé de 150 millions) prévue par le Ministère de la Culture sur le fonds de roulement du CNC pour le projet de loi de finances ?

Le prélèvement exceptionnel de 150 millions d’euros sur le fonds de roulement du CNC est confirmé par le projet de loi de finances 2013 en cours de discussion au Parlement. Nous saurons donc ce qui est retenu au terme du vote. Si ce prélèvement est confirmé, il conduira à revoir le plan d’investissement dans le numérique (inventaire, restauration et numérisation des films notamment) que le CNC avait prévu de déployer sur plusieurs années. En revanche, la taxe sur les services de télévision devrait être déplafonnée, ce qui serait une excellente nouvelle car elle restaurerait enfin l’étanchéité du Compte de soutien.

La Cour des comptes a publié en octobre un rapport assez sévère sur le CNC. Les juges de la rue Cambon mettent notamment en cause l’opacité financière du Centre, ainsi que l’accaparement du produit de la taxe sur les opérateurs télécom. Que répondez-vous à ces critiques ?

Le rapport n’est pas sévère! Il reconnaît les « brillantes réussites » du CNC et l’invite à communiquer davantage sur les réformes accomplies depuis son précédent rapport de 2004, progrès qui sont considérables. Sur demande de la Cour des comptes, un conseil d’administration a été créé en novembre 2010, où siègent 16 membres dont des représentants de Bercy, du Ministère de la Culture, du Ministère de l’Éducation Nationale, un représentant de la Cour des comptes, un sénateur et un député. Cinq missions de contrôles externes se sont succédé depuis 18 mois et n’ont révélé aucune turpitude. Le CNC est probablement l’établissement public le mieux contrôlé de France puisqu’à ces contrôles externes s’ajoute l’existence d’un contrôleur économique et financier ainsi qu’un comptable public nommés tous deux par le Ministère des Finances et qui visent toutes les dépenses au moment des engagements puis des paiements, etc. Quant à l’autonomie, un rapport fameux de la Cour des comptes, le Rapport Picq, avait fait de l’agence publique un modèle à suivre pour toutes les administrations : ce n’est pas un hasard si le Louvre est devenu le premier musée du monde une fois sa gestion devenue autonome. L’efficacité du CNC est aussi liée à son autonomie, ainsi qu’à son imbrication dans le secteur professionnel via les 700 experts qui siègent dans toutes nos commissions d’aides et qui instruisent tous les projets.

Le CNC a-t-il vraiment trop d’argent, comme le prétendent certains ?

Le CNC fonctionne avec des taxes affectées. Le produit des taxes est entièrement redistribué. Plus la demande de programmes augmente, plus il faut produire, mieux il faut distribuer, sinon l’industrie nationale s’effondre ou se délocalise, comme c’est le cas dans les pays qui n’ont pas mis en place un tel système, y compris de grands pays de cinéma comme l’Italie, l’Espagne, qui ne peuvent plus résister au rouleau compresseur américain ou affronter les défis de la révolution numérique. Le chiffre d’affaires du cinéma et de l’audiovisuel double tous les dix ans, ce qui justifie totalement que le Compte de soutien du CNC ait augmenté de 114 % entre 1988 et 2000, c’est-à-dire davantage qu’entre 2001 et 2010 où il n’a augmenté que de 60 % alors que l’économie doublait à nouveau. Il y a dix ans le succès ne faisait pas peur, on ne s’en plaignait pas, la bonne santé d’un secteur qui nourrit 340 000 emplois et produit 1 % du PIB national n’était pas jugée criminelle. Si on plafonne le CNC, si on rationne le mécanisme d’épargne forcée et d’investissement orienté, l’effet démultiplicateur du Compte de soutien jouera à la baisse et détruira des entreprises et des emplois.

Quels sont aujourd’hui les axes principaux de l’action du CNC ?

Fidèle à ses missions historiques, le CNC aide les œuvres (films, fictions…), les lieux (des salles aux plateformes VàD) et les publics via les programmes d’éducation artistique. Les priorités particulières sont de développer l’éducation artistique comme le souhaite notre Ministre, de soutenir la nouvelle création – courts métrages, œuvres nouveaux médias, jeux vidéos… – de restaurer et montrer les œuvres du passé (nous avons lancé un grand plan début 2011 avec un inventaire de tous les films, une cinémathèque en ligne, des aides à la restauration et la numérisation de 10 000 films) et aussi d’ouvrir toujours plus au monde le CNC et les professionnels : en lançant l’aide au cinéma du monde, nous permettons à des cinéastes du monde entier de travailler avec des coproducteurs français, et nous souhaitons aussi mieux encourager nos exportateurs à être encore plus conquérants sur les marchés internationaux.

Plus généralement, comment voyez-vous l’avenir du cinéma français ?

Nous le voyons de toutes les couleurs et avec beaucoup de relief… Le cinéma français connaît un nouvel âge d’or, il est cultivé dans nos salles et s’exporte dans le monde entier ; pas un genre n’échappe à nos talents, de l’animation au documentaire – sans oublier le documentaire d’animation! – du film d’auteur intimiste au film « de genre » à gros budget… Il faut toutefois être vigilant quant au maintien des capacités de financement de notre cinéma, en espérant que les autorités communautaires soient aussi éclairées que le législateur français, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui hélas : la révolution numérique n’implique pas de renoncer à notre exception culturelle, bien au contraire, il s’agit de l’adapter et de la renforcer!

Propos recueillis par Serge PLÉNIER