olivier-dazatOlivier Dazat, 53 ans, a dirigé le magazine « Cinématographe » de 1984 à 1987, publié une quinzaine de livres, et écrit près de trente films, dont « Himalaya » produit par Jacques Perrin, « Podium », « Quatre Etoiles », « Astérix »… Il a édité les livres de Gérard Depardieu, Pierre Richard, François Périer… Entretien.

Ne pensez-vous pas que les métiers de professionnels du spectacle et de l’audiovisuel et en particulier celui de scénariste, offrent des parcours assez solitaires ?

Tous les métiers d’écriture vous condamnent à une solitude certaine. Nous sommes dans une sorte d’exil social. L’emploi du temps est mouvant, et nous ne prenons pas le matin un RER. Les collègues n’existent pas, et de temps en temps, nous rencontrons dans mon cas personnel un producteur ou un metteur en scène. La grande famille du cinéma n’existe pas, et à mon sens n’a jamais existé. Parfois, à l’occasion d’un festival, nous croisons des visages inconnus dont les noms seuls nous sont familiers. Ce sont à chaque fois de brève parenthèses. C’est une industrie du loisir, qui va vite et qui génère beaucoup d’argent, et où l’on a le temps ni pour l’amitié ni pour les confidences. Il s’agit de produire suivant les demandes d’un marché qui s’est radicalisé. Depuis plus d’une vingtaine d’années, je suis scellé à mon ordinateur et le monde se déroule sans moi. Je ne suis un citoyen que lors du paiement de mes impôts. Le temps de l’écriture est celui de l’exclusion.

En dehors de ceux qui ont particulièrement réussi et qui occupent les devants de la scène, pensez-vous que les métiers des professionnels du spectacle et de l’audiovisuel, en y incluant notamment les techniciens sont reconnus par la société ?

Les acteurs et les metteurs en scène en vue sont les seules personnes identifiées par la société. C’est une vitrine de camelot, criarde et fastueuse, qui déroule ses robes de soirées et ses fracs à l’occasion des Césars et du Festival de Cannes. C’est un cénacle frileux et opulent dont les convives vivent dans la terreur de perdre leur couvert. Peu de véritables artistes donc, et beaucoup de petits commerçants entretenant leur lopin de terre. Et puis il y a la Grande armée de l’ombre. Toute une plèbe de machinistes, de techniciens et de scénaristes, indispensables pourtant, mais qui sont des figurants sacrifiés sur l’autel des célébrités, et soumis aux soubresauts de l’intermittence. Evidemment, il n’y a pas de reconnaissance. C’est un chacun pour soi, où chacun vit dans l’espoir de faire partie d’un prochain tournage, d’être appelé sur un nouveau projet. Personne ne se plaint d’ailleurs, soumis aux règles invisibles d’une profession aventureuse, qui vous condamne, par l’obligation de survivre à tout prix, à l’égoïsme, sinon à une forme d’autisme social.

En tant que scénariste voyant évoluer de jeunes talents, ne croyez-vous pas que le statut d’intermittent, qui n’est finalement qu’un statut de chômeur, n’est pas un peu dévalorisant ?

C’est le métier de scénariste qui est lui-même dévalorisant. Si aux Etats-Unis, les scénaristes forment une corporation nombreuse et puissante, capable par une grève de geler l’industrie, en France nous ne sommes qu’une petite poignée à travailler. Les Américains ont une culture de l’histoire, qui précède le primat du metteur en scène dans notre pays. Là-bas, le script est tout, ici, c’est le cinéaste qui est installé sur le piédestal édifié autrefois par la Nouvelle vague. En Amérique, le scénariste est une vedette, avec un cachet faramineux, et une vraie reconnaissance. En France, nous ne sommes qu’une petite dizaine à bien gagner notre vie. Beaucoup renoncent en chemin. Il faut avoir le goût de l’anonymat et un certain masochisme structurel pour perdurer. Le scénariste n’est jamais cité, alors que son travail est toujours le premier ciment d’une « affaire ». C’est ainsi. Après tout, si le scénariste n’est pas content, il n’a qu’à réaliser le film lui-même, ou devenir écrivain. Sinon, il est toujours un peu cet homme qui courtise pendant des semaines une femme, lui mène un véritable siège pour découvrir à la fin que c’est à chaque fois le metteur en scène qui part avec elle !

Est-ce que, à votre avis, la carte « Saltimbank » peut constituer un début de réponse aux attentes des professionnels ?

Cette idée est merveilleuse. Elle renoue dans le fond avec de vieilles coutumes qui ont fait leurs preuves. Un métier se gère par lui-même, sans être infantilisé par des aides de l’Etat. Déjà, nous réapprendrons à orthographier le terme de solidarité. Il s’agit d’être une corporation libre et autonome. La « tête » du métier venant en aide à des jambes encore frêles, les anciens parrainant les nouveaux-venus. Par essence, un auteur n’a rien à attendre que de lui-même. Mais il suffit qu’un auteur rencontre un autre auteur pour se regarder dans un miroir. Aider l’autre devient s’aider soi-même. La carte « Saltimbank » répond à cette attente. Elle est aussi une opportunité pour tirer enfin les solitaires que nous sommes de leur léthargie !

Propos recueillis

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