Le gouvernement veut-il la peau du cinéma français ? C’est en tout cas ce qu’affirme une pétition initiée par plusieurs syndicats de producteurs dont L’AFPF (Association Française des Producteurs de Films), l’APC (Association des Producteurs de Cinéma), le SPI (Syndicat des Producteurs Indépendants) et signée par des professionnels du cinéma, réalisateurs producteurs ou comédiens.

Parmi les signataires, on trouve de grands noms comme Costa-Gavras, Claude Lelouch, Isabelle Huppert ou Gérard Jugnot. Au total, ce sont 1930 personnalités qui demandent à Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et Michel Sapin, ministre du Travail de « s’assurer que l’extension d’une convention collective de la production cinématographique, qui sera par nature le cadre commun à tous, ne soit pas gravement préjudiciable à un grand nombre de films, dont la faisabilité serait alors impossible, entrainant la perte des emplois artistiques et techniques qui y sont attachés. »

Concrètement, il s’agit tout simplement de protester contre l’extension de la convention collective des ouvriers, techniciens et réalisateurs de la production cinématographique et de films publicitaires, extension qui reviendrait à l’instauration d’un salaire minimum pour les ouvriers et techniciens. Plus précisément, il s’agit d’instaurer des salaires minima hebdomadaires garantis sur des durées minimales selon les fonctions et en rapport avec le temps de tournage hebdomadaire. Ces grilles de salaires minima s’appliqueraient à tous les films dont le devis serait supérieur à 2,5 millions d’euros.

Certains disent les choses plus crûment : il s’agit de continuer à négocier les salaires de gré à gré avec des substantielles diminutions par rapport au tarif syndical. Après tout, travailler avec un réalisateur prestigieux, cela valorise un CV.

Qui doit financer le cinéma ?

Le cinéma manque d’argent et les financements ne sont pas toujours au rendez-vous. Nul ne le nie. Cependant, la pétition des producteurs pose un vrai problème : est-ce aux techniciens de financer les œuvres ? Doivent-ils servir de variable d’ajustement ? La question mérite assurément d’être posée, surtout si l’on garde à l’esprit les cachets de certains acteurs « bankables », du moins, lorsque ces cachets sont connus. Comme le fait remarquer un communiqué du syndicat de techniciens SNTPCT : « Ce n’est pas aux ouvriers, techniciens et réalisateurs de financer les films, ils ne sont pas des producteurs mais des salariés qui ne vivent que de leurs salaires. »

Ont-ils cependant le choix ? « En fait, on n’a pas la possibilité de dire non, assure Eric, jeune perchiste. Il y a quand même de la concurrence et quand la production nous propose de raboter le cachet, en fait, elle fait ce qu’elle veut. J’ai besoin d’heures et j’ai besoin d’argent pour vivre, ou alors je change de métier. C’est tout le problème ».

Cette question des salaires en amène une autre. Héritiers d’une longue tradition, les 29.000 techniciens français (chiffre d’Audiens pour 2011) peuvent se prévaloir de savoir-faire reconnus. La paupérisation des métiers qu’entraînent aujourd’hui de telles pratiques menace à plus ou moins long terme ces savoir-faire.

Alors que la convention collective élargie s’appliquera à compter du 1er juillet 2013, un médiateur a été nommé le 28 mars dernier. On doit souhaiter qu’il viendra à bout de sa mission. Le problème « coût du travail » et la préservation de l’exception française sont sans doute des préoccupations légitimes, mais qui ne justifient pas tout. Dans ce dossier, plus qu’en tout autre, l’imagination doit être au rendez-vous, et, pourquoi pas, au pouvoir.