Le spectacle est-il en crise ?
La question peut sembler provocatrice, tant le mot« crise » est dans toutes les bouches. Pourtant, la réalité se révèle sans doute plus complexe alors qu’Aurélie Filippetti vient de s’installer rue de Valois.

Vous souvenez-vous de la grande crise de 1929 ? Rappelez-vous de ces milliers, voire de ces millions d’Américains chassés de leur terre ou de leur usine, mourant de faim sur les routes ou faisant la queue devant les soupes populaires. Pour beaucoup, il s’agissait de la fin d’un système, et peut-être d’une civilisation.

Pendant cette époque noire, un seul secteur économique s’est maintenu, et s’est même développé : celui du spectacle. Cette période de crise fut aussi l’âge d’or de Broadway et surtout d’Hollywood qui se lançait dans l’aventure du cinéma parlant. Ce sont les années où les Marx Brothers s’envolent vers la notoriété mondiale, alors que Groucho, dans la vie « réelle » a perdu lui-même des centaines de milliers de dollars à la bourse. Bien sûr, cet âge d’or eut sa part d’ombre, mais il prouvait une chose : dans la pire tourmente économique, le spectacle constituait un besoin vital.

Ce que l’on peut appeler le secteur du spectacle n’est pas seulement régi par les lois généralement admises de l’économie. Peut-on même parler d’un seul secteur du spectacle ? Dans cet étrange domaine, l’économie administrée côtoie le libéralisme le plus échevelé tandis que la tradition la plus institutionnelle y fait bon ménage avec l’innovation la plus débridée.

Et puis il y a la diversité des logiques. Aujourd’hui, un spectacle lyrique convenable, sans grande vedette ni chef prestigieux, ne peut trouver son équilibre grâce aux seules recettes. Les subventions et le mécénat constituent une nécessité vitale. A l’inverse, un film tourné avec des acteurs chers mais «bankables» peut mobiliser de gros capitaux avec la possibilité d’un retour sur investissement qui dépasse de loin les marges habituelles de l’activité industrielle. Qu’y a-t-il de commun entre la petite troupe spécialisée dans les arts de la rue et la grosse entreprise de production audiovisuelle, sans oublier les compagnies et les manifestations subventionnées ? Rien, en dehors peut-être des artistes et des techniciens qui peuvent travailler indifféremment pour les unes ou les autres. Rien donc, hormis les hommes.

Un secteur en crise ?

Le secteur du spectacle est-il en crise ? La réponse n’est pas si simple. Indubitablement, il subit les conséquences de la crise financière actuelle. L’argent public se fait plus rare et le pouvoir d’achat du public potentiel n’est plus vraiment le même. L’une des principales entreprises employeuse de professionnels du spectacle, TF1, annonce la suppression de 300 emplois, alors que les recettes publicitaires de la chaîne principale ont reculé de 13,8 millions d’euros, soit -3,9%).

Pourtant, comparé à d’autres activités, le secteur du spectacle s’en tire plutôt mieux. Pour le cinéma, par exemple, la fréquentation des salles enregistre une progression globale. Si l’on en croit les chiffres du Centre National de la Cinématographie, en juillet dernier, sur les douze derniers mois écoulés, la fréquentation avait progressé de 7,9% pour atteindre 217,94 millions d’entrées. Dans un autre domaine, l’un des rares indicateurs fiables nous vient  de la SACEM qui indique pour l’année 2011 une remontée de 1,9% des droits d’auteur provenant du spectacle vivant (soit 76,9 millions d’euros contre 75,5 pour l’année 2010). Toutefois, cette remontée ne permet pas de retrouver le niveau de 2009. Il est vrai que la chute est essentiellement imputable à la baisse des droits provenant des tournées. Quant aux festivals, ils ne représentaient en 2011 que 15,6% des droits d’auteurs du spectacle vivant.

Ces chiffres permettent-ils vraiment de parler de crise ? Il faudrait pour cela qu’il y ait une baisse de la demande, une baisse loin d’être évidente. En témoigne la multiplication des événements culturels initiés par les acteurs locaux. Lorsqu’une municipalité ou une structure intercommunale achète un spectacle ou un concert, elles savent qu’il s’agit d’un investissement pour l’économie locale et cela vaut pour le plus grand festival comme pour la plus modeste des manifestations.

Le secteur du spectacle subit aujourd’hui les contrecoups de la crise et de l’endettement de la puissance publique. C’est incontestable. Mais il est aussi incontestable que cette crise sert à beaucoup de prétexte, un prétexte commode, mais qui témoigne trop souvent d’une vision à courte vue. Le déficit du régime des intermittents est un exemple de cette facilité. Les difficultés actuelles de ce secteur sont bien réelles. Faut-il les réduire à une question de conjoncture économique ? C’est une autre affaire. Il ne s’agit pas seulement de remèdes ponctuels. Les réponses doivent être structurelles à ce qui est à la fois moins et plus qu’une crise.