De retour de tournée sur les chemins de Compostelle, Patrice Martineau prépare la sortie, en septembre, d’un album de chansons traditionnelles francophones. L’occasion de faire confesser à ce singulier troubadour ce qu’il a au fond de l’âme, en visitant avec lui quelques titres de son dernier album « Entre ciel et terre », enregistré avec le groupe Les Beaux Galants.  

Qu’est-ce qu’un troubadour ? Pas un demi-soupir d’hésitation chez Patrice Martineau : « C’est un auteur-compositeur qui rêve de chanter l’amour le plus justement possible, avec des mots qui pèsent lourd. » Dans son dernier album – « Entre ciel et terre » – Patrice Martineau rend hommage au père des troubadours Guillaume de Poitiers, premier de son espèce. Voici ce prince-poète, guerrier-croisé et joli-cœur, consommateur prodigue et déraisonnable de belles femmes, qui écrit sa dernière chanson au seuil de son trépas : « Dans quelques heures je serai mort, j’étais riche et je pars sans rien. » Patrice Martineau tient à faire vivre la tradition millénaire de ces « Brassens médiévaux » qui entouraient d’un air de fête, de douceur, mais aussi d’intériorité un univers aux mœurs rudes : « J’ai essayé de redonner la parole à Guillaume de Poitiers avec la même versification, les mêmes rimes, le même souffle, tout en adaptant en Français moderne ce texte écrit en vieil occitan, avec ce thème hors du temps qu’est la pauvreté de l’homme face à la mort. »

martineau2Un appel à la liberté

Signe que la mort peut être une histoire d’amour, « Les 7 lampes de Tibhirine » – peut-être le chef d’œuvre de l’album – plonge dans une atmosphère incroyable teintée du mystère vivant de cette terre maghrébine « toute embaumée du chant des moines d’occident » , là où sept d’entre eux s’offrirent en témoins. « Leur témoignage est universel, insiste Patrice Martineau. J’ai voulu lui faire écho pour dire aux chrétiens comme aux musulmans, aux croyants comme aux non-croyants, que la douceur du pardon est plus grande que la brutalité de l’événement. J’ai souhaité aussi ouvrir à nos frères maghrébins qui vivent en France une porte d’entrée à notre culture et à notre regard. » Avec Patrice Martineau, le bon Dieu n’est jamais bien loin, il est même très proche : « Nous avons tous soif d’un bonheur éternel. Il y a des artistes qui sont malheureux de ne pas avoir la foi. J’ai été chanteur avant d’être chrétien. J’étais rempli de moi-même. En rencontrant la foi, je suis tombé de ma hauteur. Comme beaucoup de jeunes qui ont connu 68, j’étais allergique aux préceptes, mais j’ai reçu la foi comme un appel à la liberté. » Proche de sombrer, Patrice Martineau s’est reconstruit grâce à un vieux prêtre auquel il rend hommage dans « Mon père ».

Des chansons pour nourrir les cœurs

Dans « Entre ciel et terre », Patrice Martineau cultive l’art de surprendre. Dans son « Message aux habitants de la terre », voici qu’il nous souhaite « un cœur simple et docile ». Paradoxe : la docilité n’est pas habituellement la valeur prônée par l’artiste engagé qui veut « envoyer du lourd »… « Il ne s’agit pas d’être docile à l’air du temps ou à la mode, précise Patrice Martineau, il s’agit d’être docile à la grâce, à la rencontre, à l’événement présent, à l’échange et aux gens, loin d’un esprit de rébellion permanent et factice qui ne mène à rien. » Florent Brunel, artiste semi-imaginaire croqué par Les Inconnus, peut aller se rhabiller… Pour Patrice Martineau, « les chansons sont faites pour nourrir les cœurs ». Autre thème choisi pour nourrir les cœurs : l’amour pour la vie. Le titre « Avec toi vivre » évoque son épopée amoureuse, aujourd’hui riche de 35 ans de mariage. Étaler sur la place publique sa réussite conjugale au temps des amours éphémères, une provocation ou un signe prophétique ? « Ce n’est pas une provocation, sourit-il, j’avais envie de témoigner que nous avons eu, avec ma femme, du bonheur et des déconvenues. Je crois que cela vaut la peine de faire grandir progressivement l’amour en s’accrochant dans les moments difficiles. Je crois que le bonheur se construit, que l’amour pour toujours est possible et que ça peut devenir contagieux ! » Assurément, l’âme intime de ce troubadour au « double cœur vendéen » recherche cette « contagion du bien » qui veut « donner le goût du bonheur ». Amateurs patentés de poutres et de cordes s’abstenir… Martineau ne dresse pas la potence aux valeurs du siècle avec des accents vengeurs, il mise sur la dynamique vitale d’une culture populaire foncièrement bienveillante.

martineau1La francophonie est un bien culturel universel

Si, pour lui, la culture est vitalement création bien sûr, elle est aussi fondamentalement transmission : « Un jour, un ami sénégalais m’a expliqué qu’il ne comprenait pas toujours l’attitude culpabilisée des Français face à leur culture. Il m’a rappelé toutes les richesses que la francophonie avait semées à travers le vaste monde. Ces semailles ont porté des fruits culturels et humains. La francophonie est un bien culturel universel. Cette conversation m’a incité à écrire une Ballade en francophonie et à monter un spectacle qui porte le même nom. » Patrice Martineau n’est pas avare de spectacles. Sur les chemins de Compostelle, avec son frère, il vient de faire découvrir à un public très varié, avec le concours de Robert Hossein, que marcher vers Compostelle « n’est pas seulement un itinéraire touristique de grande randonnée, mais une démarche intérieure qui s’inscrit dans une histoire, une épopée spirituelle ». Pour 2013, il nous promet de nouveaux « Portraits de troubadours ». Une présentation, en quelque sorte, de sa généalogie artistique intime… qui est aussi celle de tant d’autres artistes français, d’hier, d’aujourd’hui et de demain…