Les histoires sans paroles de la compagnie Sol Lucet

Depuis plusieurs années, la compagnie Sol Lucet Omnibus propose des spectacles et des ateliers théâtre bilingues accessibles aux sourds et aux entendants. Une autre manière de s’ouvrir à la différence et au monde.

Faire le bruit de la vache sans meugler, mimer la chouette sans hululer, exprimer toute la force et la noblesse du lion sans rugir… Tel est le défi que relève depuis plusieurs années la compagnie parisienne Sol Lucet Omnibus. En duo, selon les spectacles, avec une comédienne entendante Claire Néel et un comédien sourd Laurent Valo, Catherine Sohier la directrice de la compagnie propose des créations originales et des ateliers théâtre bilingues accessibles aux sourds et aux entendants. « Je tenais vraiment à monter un spectacle avec un acteur sourd et une actrice entendante (en l’occurrence Catherine Sohier, ellemême, ndlr) qui aurait appris à signer afin que les deux cultures puissent véritablement se rencontrer. Nos pièces sont naturellement très visuelles. Cela n’empêche pas d’utiliser de la musique puisqu’il y a, chez les sourds, différents niveaux de surdité » explique Catherine Sohier dont le théâtre s’adresse indistinctement à tous les publics, entendants, malentendants, sourds profonds ou implantés. Formée à la langue des signes à l’International Visual Theater (IVT), situé cité Chaptal à Paris et actuellement dirigé par la comédienne Emmanuelle Laborit, Catherine Sohier a suivi de 2009 à 2012 l’intégralité du cursus proposé par l’AFDAS, le fonds de formation des artistes. Cet organisme a pris en charge à raison de cinq stages par an sa formation pour lui permettre, en plus de son activité habituelle, de créer un spectacle pour le public sourd, mais également des ateliers où elle mêle des enfants sourds et entendants.

Des histoires sans paroles

« L’un de mes atouts est d’avoir suivi et réussi la formation complète à l’IVT. Lorsque vous voulez monter un spectacle avec un artiste sourd, vous devez normalement faire appel à un traducteur. Avec Laurent Valo, notre relation est très directe et authentique, ce qui est une grande chance pour le public » rappelle Catherine Sohier. Polyglotte, la fondatrice de la compagnie Sol Lucet Omnibus a toujours été fascinée par l’apprentissage et la mécanique des langues : « En tant que comédienne, j’ai beaucoup appris en pratiquant la langue des signes. Cela m’a notamment permis d’enrichir considérablement mon potentiel d’expressivité. Puisque j’avais de la facilité avec le texte, je me suis dit que j’allais me faire violence et travailler exclusivement sur le corps ». Toujours à la recherche de nouvelles passerelles, Sol Lucet Omnibus a décidé d’accueillir au sein de la compagnie pour la création des costumes des spectacles les stagiaires sourds de l’Institut National des Jeunes Sourds (INJS) qui se trouve rue Saint Jacques dans le 5e arrondissement « Nos spectacles durent environ une heure. Zoumbazoum ou le monde à portée de mains était initialement une pièce pour les entendants. Elle a été complètement retravaillée sans parole dans un sens gestuel par la comédienne Claire Néel et a notamment rencontré un beau succès à l’institut Baguer d’Asnières (92) ». Sol Lucet Omnibus produit également un autre spectacle, la Conférence des animaux, cette fois-ci avec le concours du comédien sourd Laurent Valo « La Conférence des animaux s’intéresse à la préservation de la Nature un thème d’actualité dont les sourds sont naturellement friands, mais dont ils sont parfois privés faute d’une information adaptée. La pièce aborde également d’autres thèmes chers aux sourds, comme la différence ou la prise de parole au sein de la société » explique avec passion Catherine Sohier.

Des signes pour mieux s’entendre

Sol Lucet Omnibus milite décidément pour un théâtre et une langue des signes sans frontières. Car à l’image du monde entendant, il n’existe pas encore d’espéranto du geste ou de langue des signes universelle. De fait, chaque pays dispose de sa propre langue des signes : American Sign Language (ASL) pour les Etats-Unis, British Sign Language (BSL) pour le Royaume-Uni ou encore la Langue des Signes Française (LSF) qui a été officiellement reconnue par notre pays en 2005 comme une langue vivante à part entière. Mieux encore, il faut savoir qu’un Breton ne signera pas les mots de la même manière qu’un Basque ou qu’un Provençal en raison des accents qui nécessitent une interprétation gestuelle particulière. Parler avec les mains offre toutefois des avantages et il n’est pas rare de voir deux sourds français et japonais se comprendre au bout de seulement 15 minutes. « Depuis sa création, la compagnie Sol Lucet Omnibus s’attache à la découverte et à la promotion des différentes cultures. Par le biais de nos spectacles, c’est un peu comme si nous partions sur une île lointaine à la découverte d’une nouvelle langue, celle des signes, et que nous la rapportions comme un trésor dans le monde de la parole » souligne Catherine Sohier.
Par définition nomade, la troupe part tous les ans dans les régions françaises jouer devant un large public ses spectacles ou proposer des ateliers théâtre mêlant enfants sourds et entendants. « J’attache beaucoup d’importance à la rencontre avec le public, notamment avec les entendants qui découvrent souvent pour la première fois le monde des sourds. Nous en profitons pour leur transmettre sur le mode ludique quelques rudiments de la langue des signes » explique l’artiste. Aujourd’hui le souhait de la compagnie est d’aller encore un peu plus à la rencontre du public sourd et de présenter ses spectacles dans les écoles et les institutions. « Notre compagnie s’est notamment spécialisée dans le spectacle pour les toutpetits (0 à 3 ans). J’ai remarqué que certains enseignants utilisent parfois dans les crèches le b.a.-ba de la langue des signes pour communiquer avec les enfants de moins de deux ans qui ne savent pas encore parler. Mon idée serait de créer un spectacle onirique pour cette tranche d’âge dans lequel s’intègrerait la langue des signes qui par certains côtés s’apparente à une véritable danse en apesanteur. Mais j’avoue qu’il reste encore beaucoup de travail pour monter ce projet et bien sûr ensuite trouver des salles. » A bon entendeur…

Retrouvez Zoumbazoum ou le monde à portée de mains et la Conférence des animaux en tournée au printemps 2013 en Ile de France pour les Papillons Blancs.