Il est au coeur de la banlieue parisienne un lieu étrange au nom encore plus étrange, réservé aux vrais amoureux du cinéma et surtout de la pellicule authentique, la meilleure amie des génies du Septième art. Mais ce lieu magique est aujourd’hui menacé.
C’est dans l’improbable sous-sol d’un vieil atelier d’artisan tout droit sorti d’un film de Louis Feuillade ou de Jean Epstein, que se tapit ce véritable temple dédié à une déesse bien particulière.
Dans un désordre un peu bohème apparaissent des instruments oubliés du profane et qui se nomment tireuse optique, banc-titre ou table de montage. Ici, le numérique s’efface devant l’argentique traité amoureusement. “Laboratoire cinématographique d’artiste”, l’Abominable (on aura compris le jeu de mots) est une association (loi de 1901) qui, en marge de l’industrie et des grandes compagnies commerciales, propose depuis une quinzaine d’années à ses adhérents de venir travailler directement la pellicule sur son matériel, qu’il s’agisse du montage, du développement ou de la réalisation de certains effets spéciaux.
“Nous accueillons nos nouveaux adhérents par petits groupes d’une dizaine, précise Nicolas, l’un des animateurs. Pendant une courte formation, nous leur faisons découvrir les sensations de la pellicule, nous les aidons à devenir autonomes avec le matériel. La première année, cela leur coûte 50 euros, puis la cotisation est calculée en fonction des travaux”. Les adhérents de l’Abominable, ce sont bien entendu des cinéastes, essentiellement des adeptes du cinéma expérimental, mais aussi des artistes, plasticiens ou autres qui désirent faire intervenir le matériau filmique dans leur création (théâtrale par exemple). L’Abominable propose également des ateliers de cinéma vu comme un art plastique. A ce jour, ce sont plus de 3600 films, super 8 ou 16 mm, de métrages différents, qui sont sortis de ce labo pas si minable.
Pourtant, malgré un tel bilan et le dévouement de ses animateurs, l’Abominable est en danger puisqu’il risque tout simplement de devoir mettre la clef sous la porte. Lorsqu’il s’installe, dans ce quartier résidentiel d’Asnières (Hauts-de- Seine), le propriétaire du lieu (qui abrite aussi d’autres artistes) se montre peu exigeant pour les locataires. Cet ancien atelier, il l’a reçu en héritage et entretient avec lui un lien affectif. Ces artistes font vivre les murs d’une vie qui ne lui déplaît pas.
Mais, il y a deux ans, ce propriétaire meurt. Depuis, l’Abominable est devenu expulsable. Aujourd’hui, l’affaire est portée devant les tribunaux. La pression immobilière dans ce quartier résidentiel ne fait pas forcément bon ménage avec la création. Dans l’affaire, l’Abominable a reçu un soutien de poids en la personne du maire d’Asnières. On veut espérer que ce soutien, sans parler d’autres qui devraient suivre, permettra non pas de peser sur une décision de justice, mais au moins d’en atténuer (voire d’en effacer) les possibles conséquences négatives.
Le cinéma a toujours grand besoin des fous de la pellicule. Il a toujours besoin de l’Abominable.