NaudinFaire du bruit, faire du bon bruit, nécessite des hommes de l’art. Chaque film, qu’il soit documentaire ou œuvre de fiction, qu’il soit pour les salles obscures ou les autres supports médiatiques, s’enregistre avec des bruits, les effets sonores de la vie. Le bruiteur est cet homme de l’art qui participe au succès des films… Pour commencer cette série d’entretiens avec les hommes des métiers du spectacle, nous avons rencontré Gadou Naudin, l’un des rares bruiteurs à posséder un studio d’enregistrement… et pas seulement parce qu’il est aussi le fils d’André et le frère de Julien Naudin. A eux trois, ils ont bruité des dizaines, des centaines de films, longs ou moyens métrages de fiction ou de documents. Nous avons rencontré Gadou à son studio de Malakoff, en banlieue parisienne. Voici ses réponses à nos questions.

De père en fils

Je suis devenu bruiteur par la famille. C’est donc à la fois le fruit du hasard et de la nécessité familiale. Mon grand frère Julien est devenu l’assistant de mon papa lorsque son propre assistant est parti à la retraite. Après, mon père a eu besoin d’un troisième larron, lorsque mon frère s’est lancé. Moi, je ne voulais pas être bruiteur. Je le suis devenu pour l’aider. Et pour finir, ça m’a beaucoup plu ! Et cela fait vingt-deux ans que ça dure !

Le bruit des bruiteurs

Les premiers bruiteurs, au début du cinéma, étaient les pianistes. Ils donnaient vie en sonorisant l’action. Improvisant sur les images, ils fournissaient au film du pathétique, du dramatique, du sentimental et même de l’horreur. Nous, au niveau du son, on va faire des caresses plus douces, des étoffes plus fines, des gros cuirs pour l’arrivée de la police. Le pianiste, lui, jouait comme un fou pour que les spectateurs soient impressionnés.

Il y a très peu de bruiteurs en France. Aujourd’hui, je crois que nous ne sommes qu’une quinzaine. On est très peu nombreux parce que c’est un métier qui nécessite un long apprentissage. C’est le métier d’une vie, on ne fait pas ça sans passion.

De La formation

Il n’y a pas d’école de bruitage. C’est un métier qui se transmet principalement en famille, un peu comme celui de cascadeur. Cascadeur, il n’y a pas vraiment d’école, bruiteur, il n’y en a pas du tout. Moi-même, j’ai des assistants. Ce sont en fait des amis qui sont devenus mes assistants.

Prendre un assistant, c’est physi-quement et moralement épuisant car on ne peut apprendre qu’en travaillant. On apprend dans l’action, sous pression. On ne refait pas dix fois l’enregistrement d’un pas… Il doit se faire immédiatement. C’est pourquoi nous avons mille et une choses dans nos studios. Il faut que nous soyons bons tout de suite. Si le réalisateur dit qu’il veut entendre une mouche bleue en porte-jarretelles derrière le comédien, on doit être capable de lui faire entendre la mouche bleue en porte-jarretelles…

De l’intervention du bruiteur

studio-bruiteur

Attention ceci n’est pas une cuisine
mais un studio de bruiteur !

Le bruiteur collabore sur un film au moment de la post-synchro. Son métier est de fabriquer les bruits qui n’ont pas été enregistrés au tournage. S’il y a eu un problème, par exemple un passage d’avion, un bruit de travelling, une complication avec le groupe électrogène ou si, plus simplement, le réalisateur parle sur les prises ou que le comédien joue mal, il faut alors refabriquer les sons. On intervient aussi beaucoup pour compléter tout ce qui n’a pas été enregistré lors du tournage. Lors des tournages, les preneurs de sons directs atténuent les pas en plaçant des tapis, le choc des verres sur la table, etc., afin de privilégier les dialogues, la voix des comédiens. Tout cela entraîne une froideur de l’ambiance sonore. Le bruiteur concourt ainsi à souligner la vie qui doit apparaître dans le film.

Il intervient lors de la finition, lorsque le montage image est définitif. On fait ça en studio. Le but du jeu est d’abord de faire une version internationale, ce qui va permettre de présenter le film à l’étranger. La production vend alors les montages : image, son, musique… Sans le bruitage, ce n’est pas possible. L’acheteur acquiert tous les éléments et fait refaire les voix ou le sous-titrage dans la langue de son choix.

Les secrets de fabrication

Le bruitage, c’est donner du détail… Le bruiteur est un créateur de sons que l’on n’entend pas mais qui, lorsqu’ils ne sont pas présents, manquent à l’ambiance du film. Par exemple, lorsqu’il y a une bagarre, la scène est filmée sans prise de son directe. Les comédiens ou les cascadeurs tombent sur des coussins, il faut donc refaire les bruits de la bagarre.

On peut tout produire, avec du temps et un peu d’imagination. Il y a un côté artistique et un côté technique. Moi j’adore faire des vagues sans eau ! Elles peuvent être grosses de cinq mètres, de dix mètres, avec l’écume qui tombe sans une goutte d’eau ! On a des trucs à nous, ce sont nos secrets de fabrication. On utilise des accessoires, une pince, une cuillère, une tasse. J’ai plein de bidouilles que m’ont apprises mon père André Naudin et mon frère Julien. Ils m’ont donné les bases. On invente tous les jours, mais il y a une grosse part d’improvisation.

Le bruit fait du son

voiture

Le son est une véritable langue internationale mais il y a plein de nuances qu’il faut connaître ou percevoir en regardant l’image. Il y a des différences dans les manières de monter à cheval, surtout dans les matières utilisées pour la sellerie. Il y a des pays où les selles en cuir sont très gardant l’image. Il y a des différences dans les manières de monter à cheval, surtout dans les matières utilisées pour la sellerie. Il y a des pays où les selles en cuir sont très grinçantes, d’autres qui ne font quasiment aucun bruit. C’est la même chose pour les harnais. A Saint-Cyr par exemple, les harnais sont silencieux mais en Mongolie ils sont ornés et magnifiques.

J’ai eu affaire à ce genre de problèmes sur des documentaires. Dans ces pays, plus il y a de clochettes sur les harnais, plus ils sont riches. Mais au tournage, c’était tellement l’enfer que le metteur en scène a préféré ne pas les enregistrer. Donc nous avons remis des tintements, pas trop, juste pour que ce soit joli.

Les bruits d’un film

Certains réalisateurs savent parfaitement ce qu’ils veulent. Quand il y a de la musique, alors on ne bruite pas, ou encore lorsqu’ils souhaitent un son sur les étoffes, de même lorsqu’ils désirent des sons « off » (hors champ). Ce sont des sons qui ne sont pas figurés par l’image mais qui accompagnent néanmoins l’histoire. Par exemple, on filme un comédien et tout à coup, un autre comédien entre dans le champ. Le réalisateur veut entendre « off » une porte qui s’ouvre, un bruit de clefs, etc.

De La modernité dans la tradition

machine-bruitLes techniques modernes, ordinateurs, enregistreurs, bidouilleurs en tout genre n’arrivent pas à faire tout ce que nous inventons, principalement parce que nous allons très vite… Pour faire des pas, on analyse le poids du comédien, son pas, la chaussure, son cuir, sa semelle, la nature du sol (bois, béton, linoléum…), le synchronisme de l’action. Nous, en deux secondes, nous analysons tout ça. On pose le micro et, sans perdre de temps, c’est dans la boîte. Le faire avec un ordina-teur prend beaucoup plus de temps et n’a pas le rendu nécessaire.

La technique, nous nous en servons beaucoup… Aujourd’hui, nous fixons les sons sur des ordinateurs avec un grand nombre de pistes. Lorsque j’ai commencé en 1986, nous avions droit à seulement deux ou trois pistes. Actuellement nous en utilisons plus de trente… Avant, un bon bruiteur était quelqu’un qui fabriquait en même temps tous les sons nécessaires. Maintenant, on peut cumuler, on découpe beaucoup plus. Par exemple, un coup de poing peut prendre six pistes pour avoir un rendu intéressant. Donc, la technique est essentielle au niveau des consoles d’enregistrement. Ici, au studio, j’ai un parc de vingt micros et des pré-amplis. On compense le son pour le centre, le droit, le gauche, les basses et les arrières. Avant, on travaillait en mono, aujourd’hui on a davantage de profondeur mais cela prend beaucoup plus de temps évidemment.

Le métier évolue énormément grâce à la technique. Je suis le seul bruiteur à avoir son propre studio. J’ai pu choisir mes acoustiques. Avant, le bruiteur se promenait avec ses valises… Il avait besoin de dix valoches… Moi, il me faudrait aujourd’hui au moins un camion pour transporter tout le matériel que j’utilise !

Propos recueillis par François Marin