Au cœur de Paris, dans une ruelle située à quelques pas de la place de la République, Marie-Pierre Brêtas se lance dans un long monologue ; il n’est nul besoin de la brusquer : la flamme qui anime tout son être jaillit en un flux de mots ininterrompus, de sa rencontre précoce avec l’œuvre du cinéaste brésilien Glauber Rocha à la lente édification de ses propres films. Les images jaillissent librement, au rythme des termes à la sonorité chamarrée : Nordeste, sertão, cangaçeiros, assentamento…

Née en 1961, elle ne se tourne pourtant vers le cinématographe qu’à l’âge de vingt-huit ans, lorsqu’elle entre aux 3 IS, avant de prolonger sa formation aux Ateliers Varan, fondés par le père de l’ethnofiction, Jean Rouch, où elle apprend le travail en équipe, notamment par la co-réalisation d’un premier long-métrage : Mon travail, c’est capital’.

Le genre spécifique du documentaire l’attire : « Réaliser un documentaire, ce nest ni raisonner, ni expliquer, car limage ne peut être réduite à une formule. »

Fascination pour le Nordeste aride

Lors d’une visite au Brésil, elle rencontre son mari, le peintre Marcos Brêtas, et redécouvre la fascination de son enfance pour la terre aride du Nordeste, qu’elle souhaite aussitôt transcrire cinématographiquement. Pendant plusieurs années, elle suit Anibal qui, en pleine campagne électorale, promet des soins médicaux en échange de promesses de votes : La Campagne de São José remporte en 2009 le Grand Prix du 2e FIDADOC d’Agadir.

Lors de ce tournage au long cours, elle se lie d’amitié avec Vanilda et Antonio qui rejoignent le mouvement des sans terre, s’installent illégalement avec d’autres familles sur des terrains mal exploités en vue de les acquérir et de fonder un assentamento. Marie-Pierre décide de traduire leur aventure en un documentaire étalé sur quatre ans, de l’occupation aux premières mesures prises en communauté après l’obtention des terres.

Si son premier long-métrage décrivait le délitement d’une communauté ouvrière après la fermeture d’une usine, Hautes Terres regarde la constitution d’une communauté humaine, façonnée d’espoirs et de conflits, forgée – surtout – par une longue attente. Son film, qui paraîtra en salles le 15 octobre prochain, a déjà fait l’objet de plusieurs sélections officielles et reçu la mention spéciale du Prix de l’Institut Français Louis Marcorelles, au festival Cinéma du réel 2014.

Action ou contemplation

Cette liberté de ton a néanmoins un coût : « Jai un travail alimentaire à côté pour pouvoir réaliser ce que jaime ; sinon, je serais soumis aux aléas des chaînes télévisées. Par ailleurs, il ne mest pas toujours possible de payer tous les techniciens, encore moins les « acteurs » de mes documentaires. Je filme seule ; pour Hautes Terres, je vivais chez Vanilda et Antonio, partageant riz et haricots quotidiennement. En un sens, et même si les conditions sont dures, c’était cohérent avec le sujet traité. »

Pourquoi ne pas tourner des reportages ? « Le reportage raconte, dit et illustre, avec des contraintes précises, tandis que le documentaire regarde longuement pour comprendre, à travers lincarnation la plus pure des choses : une posture, un visage, un regard, un geste, une relation humaine… » Le premier tient de l’activité quand le second est essentiellement de nature contemplative.

Pierre MONASTIER