Tandis que le sort final de l’accord sur les annexes 8 et 10 est toujours en suspens et que la « loi création » peine à prendre forme, il est difficile de dresser un véritable bilan de l’action d’Aurélie Filippetti rue de Valois. Cependant, un point d’étape s’impose tandis que s’annoncent trois années à haut risque, marquées par les menaces qui pèsent sur les budgets du ministère.

« Couac ! » : l’onomatopée restera dans la petite histoire politique comme le symbole sonore des deux années de gouvernement de Jean- Marc Ayrault. Reconduite dans ses fonctions, Aurélie Filippetti n’a toutefois pas échappé à la règle. Et dans le monde de la culture, les « couacs » font du bruit. Il est bien connu que l’on y sort son « flingue » à la vitesse de Lucky Luke. Aurélie Filippetti n’a pas été épargnée : flinguée par Tardi pour avoir tenu des propos maladroits sur la BD dans Télérama, flinguée par le patron des Césars Alain Terzian pour avoir manqué l’inauguration de la Cité du cinéma, flinguée par l’acteur de théâtre Philippe Caubère pour la valse des directeurs d’institutions culturelles, soupçonnée de se débarrasser – au nom de la parité – des hommes qui ne lui plaisent pas, comme Jean-François Colossimo au Centre national du livre…

filippettiLes sujets de polémique n’ont pas manqué. Même la rubrique people a fait florès : Gala a dévoilé son séjour de Noël 2012 à l’Ile Maurice alors que le « patron » avait demandé de rester à moins de deux heures de Paris ; et la ministre s’est trouvée victime collatérale du méga-feuilleton Gayet lorsque le Canard Enchaîné a révélé la nomination de la présidentielle Julie au prestigieux jury de la Villa Médicis à Rome. Et ce n’est pas fini : moquée pour la breloque accrochée sur le look improbable des Shaka Ponk, prise à partie par la famille Picasso dans la polémique sur la date d’ouverture du musée Picasso, les polémiques plus récentes n’ont pas manqué de sel non plus. Décidément, être ministre de la Culture n’est pas un métier de tout repos. Aurélie Filippetti est devenue spécialiste en communiqués de presse aux accents pompiers et aux dénégations outrées. Romancière de profession, elle n’a pas démérité dans l’exercice.

La « loi création » peine à accoucher 

Mais pendant ce temps, qu’a-t-elle fait ? L’un de ses chevaux de bataille était l’éducation de la jeunesse à la culture. Las ! Le rapport demandé à l’écrivain Marie Desplechin a terminé dans un placard et son auteur a fini par se demander « à quoi tout ça avait servi ». Il faut dire que Vincent Peillon n’a pas beaucoup aidé sa collègue, se désintéressant de ce sujet important tandis qu’il était empêtré dans la réforme contestée – et aujourd’hui détricotée par son successeur – des rythmes scolaires. La refonte de la loi Hadopi tenait aussi beaucoup au coeur de Madame Filippetti. En fait de refonte, elle a dû pour le moment se contenter d’aménagements mineurs. Mais elle mise sur le volet numérique du projet de « loi création » pour parvenir à son objectif : le transfert au CSA des missions de l’Hadopi ; le règlement de la question de la rémunération des auteurs et ayants droits à l’heure numérique et une solution satisfaisante sur la légalisation des échanges non marchands sur Internet, qui inquiète la filière culturelle.

Bien évidemment, ces sujets sensibles et éminemment politiques compliquent l’avancement du projet de loi. Le ministère entendait initialement le boucler en 2013, mais il va de report en report. Il pourrait être présenté en Conseil des ministres en juin prochain, être discuté lors de la session d’automne du Parlement pour une adoption au premier semestre 2015. Dieu que c’est long… D’autant qu’Aurélie Filippetti n’a pas été épargnée par les contrariétés sur les autres volets, notamment son projet d’encadrement du bénévolat, abandonné suite à la fronde des artistes amateurs (voir Profession Spectacle numéro 29). Si ce recul ne vide pas la réforme globale de sa substance, il reste cependant que cette substance demeure à ce jour assez floue. L’importance prise par le volet numérique fait craindre aux professionnels du spectacle vivant une loi a minima concernant le soutien à la création. Présidente du SYNDEAC, Madeleine Louarn (voir interview « Une conjecture inédite et inquiétante ») encourage la Ministre à inclure dans son projet des ambitions fortes pour le secteur culturel : « Il ne faudrait pas que les discussions sur la question numérique écrasent le débat. Je souhaite que ce projet réaffirme à quel point la création est essentielle, qu’il souligne la place centrale du spectacle vivant dans la dynamique culturelle de notre pays. J’espère que ce projet portera une vision, un grand dessein, une vraie volonté politique. » 

Des budgets en berne 

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Aurélie Filippetti et les Shaka Ponk

Un « grand dessein » pour la Culture, c’est peut-être ce qui manque le plus aujourd’hui à Aurélie Filippetti. A sa décharge, il faut reconnaître que pour porter un « grand dessein », il faut aussi des moyens. Et c’est là que le bât blesse. Le budget du ministère de la Culture a été raboté de 2 % pour la deuxième année consécutive et les perspectives ne sont pas fameuses tant le plan triennal d’économies 2015-2017 du gouvernement s’annonce sanglant, déficits obligent. Aucune annonce n’a été faite pour le moment, les arbitrages sont en cours. Mais le ministère de la Culture pourrait subir une cure d’amaigrissement sans précédent. Selon nos informations, le budget du ministère pourrait subir une coupe sombre de 500 millions d’euros sur trois ans, sans compter la réduction drastique des dotations aux collectivités. 300 millions d’économies supplémentaires pourraient s’ajouter, soit un total de 800 millions d’euros en moins pour la culture. Des perspectives qui laissent augurer de fortes tensions dans le secteur culturel.

Alors qu’aucune grande réforme n’a pour le moment abouti, la question se pose de savoir si Aurélie Filippetti est encore au milieu du gué ou déjà dans la nasse. Tandis que de nombreux intermittents ne décolèrent pas suite à l’accord du 22 mars et l’accusent d’impuissance politique face au Medef, alors que les discussions autour de l’Hadopi s’annoncent musclées, y compris au sein de la majorité, la fonte des budgets culturels pourrait sceller le sort d’un quinquennat bien terne pour la Culture.