HollandeQuel devrait être le rôle de l’Etat en matière culturelle ?

Nous devons avoir une politique culturelle forte car elle est essentielle à notre identité, à notre cohésion et à la grandeur de notre pays. L’oeuvre des savants et des artistes est une part majeure de ce que l’histoire retient et faire de la politique, c’est faire de l’histoire au présent. « C’est la mémoire du peuple, la conscience collective de la continuité historique », disait Kundera. Elle est à la fois expérience individuelle, profondément intime, et aventure collective, rencontre avec l’autre. Le rôle de l’Etat en matière culturelle n’est pas de se préoccuper de la culture de chacun, car chacun est assez grand pour savoir quelles oeuvres sont nécessaires au développement et au bonheur de sa vie sensible et intellectuelle. Le rôle de l’Etat est de faire en sorte que l’objectif d’un égal accès de tous à la culture ne soit jamais abandonné. Or, en la matière, le bilan de Nicolas Sarkozy est négatif : près des deux tiers des Français n’ont fréquenté aucun lieu culturel au cours des douze derniers mois. La proportion d’ouvriers dans les publics d’établissements culturels n’augmente pas.

Ma première priorité sera que l’Etat retrouve une ambition forte en termes d’éducation artistique, de la maternelle à l’université. Pour cela, je propose la mise en place d’un grand plan en faveur de l’éducation artistique. La présence de médiateurs culturels comme passerelles entre établissements scolaires et artistes est essentielle. Je veux créer un partenariat entre le ministère de la culture et le ministère de l’éducation nationale, avec pour mission commune l’accès du plus grand nombre aux pratiques culturelles. Cela passera par la création d’une instance interministérielle de coordination. L’enjeu pour les prochaines années c’est aussi d’aller dans les quartiers où la culture n’est pas assez présente, de favoriser les espaces intermédiaires (lieux issus du patrimoine industriel réinvestis par exemple), de refuser que se créent des déserts culturels, de faire entrer le théâtre à l’école. C’est essentiel pour permettre à la génération qui vient de reprendre confiance.

L’Etat doit enfin être au service des créateurs et des publics, il doit être à leur écoute et leur faire confiance : être le garant de l’épanouissement du créateur, l’aider sans le contraindre. En filigrane, cela suppose de faire confiance aux artistes pour être des acteurs de la transformation sociale et de ne pas chercher à les instrumentaliser à telle ou telle fin politique. Or, de plus en plus, l’Etat s’est déchargé de ce rôle sur les collectivités locales, à qui il ne donne pas les moyens financiers de le faire. Ce désengagement est une rupture brutale avec un héritage propre à notre pays qui dépassait souvent les clivages politiques. Renouons avec les objectifs posés par Jean Zay, Malraux et Jack Lang. Il faut impérativement que l’Etat redevienne le pilote d’une ambition forte pour la création. Cela passe par un nouveau contrat, sécurisant, avec les collectivités locales et les établissements publics. Pour le spectacle vivant, j’ai annoncé une grande loi d’orientation qui permettra de définir ensemble nos priorités. Je pense par exemple au développement des maisons de pratiques artistiques amateurs et à la facilitation de la venue des artistes étrangers en France à travers une politique de visas adaptée.

Que pensez-vous du statut actuel des intermittents du spectacle, quels éventuels aménagements voudriez-vous introduire ?

J’ai lu à ce propos votre lettre ouverte à l’actuel ministre de la culture et de la communication, et je comprends le désarroi qui s’y exprime. Le régime de l’intermittence est l’un des points d’appui de notre exception culturelle. C’est pourquoi je souhaite, dans le cadre de la grande réforme que constituera l’acte deux de l’exception culturelle, engager dès 2012 les discussions sur la négociation des annexes 8 et 10 de l’UNEDIC. Malgré les attaques qu’il subit régulièrement, personne aujourd’hui n’envisage plus la disparition de ce statut, et je m’en réjouis. Cela ne signifie pas que la situation actuelle soit satisfaisante, pour les intermittents eux-mêmes comme pour le secteur dans son ensemble. Les déséquilibres se sont aggravés ces dernières années du fait d’un désengagement de l’État, notamment en termes d’emploi.

La solution ne passe donc pas par une simple évolution du statut en lui-même mais par une véritable politique d’ensemble qui devra inclure l’État, les collectivités territoriales et les différents acteurs économiques du spectacle vivant. Nous ne répéterons pas les erreurs des entretiens de Valois. C’est à partir de ces grandes lignes que nous pourrons mener la réflexion et le débat indispensable afin de préserver un régime d’assurance chômage spécifique au sein de la solidarité interprofessionnelle, outil précieux pour la création en France, en particulier dans le spectacle vivant.

N’avez-vous pas l’impression qu’il existe plusieurs formes de diffusion culturelle en France, l’une officielle et subventionnée, une autre abandonnée au seul jeu du marché et la dernière tenue en marge et livrée à la débrouillardise de ceux qui tentent sans moyen de la faire vivre ?

La France dispose d’un réseau d’institutions subventionnées. Je le revendique, c’est le pilier de l’action culturelle de l’État, permettant un maillage du territoire là où les logiques économiques auraient créé de véritables déserts culturels. Ce réseau connaît cependant des difficultés, compte tenu notamment de la restriction de moyens dont je viens de parler et de leur inégale répartition entre Paris et les Régions. Une politique de relance de l’action culturelle doit se faire avec eux, dans le cadre d’un partenariat renouvelé. Vous parlez également d’un réseau « abandonné aux seules lois du marché ». Il a toujours existé, je dirai heureusement, des productions culturelles susceptibles de se passer de soutiens publics qu’il s’agisse de spectacle vivant, de cinéma ou d’audiovisuel. J’observe cependant que, lorsque l’État n’est pas présent sous la forme directe de subventions ou de systèmes de redistribution, de nombreux dispositifs, parfois gérés par les collectivités territoriales, viennent participer au développement de ces activités, qui permettent de compléter l’offre culturelle française et qui participent souvent au rayonnement de notre pays. Il y a également les formes de diffusion culturelle dont vous dites qu’elles sont « tenues en marge ». C’est à elles que je pensais lorsque j’ai annoncé à Nantes la nécessité de remédier au problème des « territoires oubliés » car c’est souvent là qu’elles se situent. Zones rurales enclavées, périphéries des grandes villes ont aussi besoin de présence culturelle et ceux qui y travaillent ont besoin d’être soutenus. C’est pourquoi je veux avancer dans la décentralisation culturelle, avec notamment un approfondissement de la politique de contractualisation entre l’État et les collectivités territoriales sur les questions culturelles.