julien-laferriereLe 12 août dernier sortait sur les écrans Neuilly sa mère, réalisé par Gabriel Julien-Laferrière. Profession Spectacle a rencontré ce metteur en scène au profil atypique .

Profession Spectacle : Quel  a été votre parcours professionnel  ?

Gabriel Julien-Laferrière : Après des études de cinéma à l’école Louis Lumière, j’ai obtenu en 1984 un BTS de cinématographie option image. Pendant les vacances, en 1983, j’avais travaillé sur un long-métrage à petit budget comme assistant-réalisateur. Ce travail m’a tout de suite plu. A la sortie de l’école, j’ai travaillé sur des courts-métrages, puis suis entré comme assistant à Canal +, où je suis très vite devenu réalisateur : je faisais surtout du montage, des bandes annonces de film et des spots publicitaires… J’ai arrêté au bout d’un an et demi, pour faire du cinéma. En 1987, j’ai été deuxième assistant sur le film Un tour de manège, puis j’ai développé une carrière de premier assistant-réalisateur, avec un certain succès. J’ai fait une vingtaine de long-métrages, avec des réalisateurs comme Léos Carax, Claire Denis, Chantal Ackerman, Claire Devers et Bernard Stora.

Comment en êtes-vous arrivé à réaliser des films ?

Voilà une dizaine d’années, on m’a proposé d’adapter un livre au cinéma. Le film ne s’est jamais tourné, le producteur, un homme merveilleux qui s’appelait Humbert Balsan, s’étant suicidé en 2005. J’ai refait un film en tant qu’assistant, avec Guillaume Nicloux, puis en 2006, Djamel Bensalah m’a proposé d’être le réalisateur deuxième équipe d’un western avec des enfants, Big City, qu’il a produit et réalisé. Ce système de la deuxième équipe est peu fréquent en France, mais courant dans d’autres pays. J’ai d’abord tourné des scènes d’action au Canada, puis Djamel m’a demandé de faire un deuxième plateau sur l’ensemble du film pour filmer, sous son contrôle, les morceaux dont il n’avait pas le temps de s’occuper.

Après ce tournage, Eric et Ramzy, qui préparaient Seuls two, m’ont proposé d’être leur conseiller technique et m’ont confié une partie technique du travail de réalisation. Puis Djamel m’a rappelé pour faire Neuilly sa mère. C’était un film de commande, dont le scénario était déjà écrit et dont Djamel est le vrai maître d’œuvre.

Mon parcours de metteur en scène est donc atypique en France, où le réalisateur d’un film est aussi en général son propre auteur. Je suis arrivé à la mise en scène grâce aux compétences que j’ai acquises par l’expérience et le travail, et qui ont donné envie à des producteurs de me confier la mise en scène de films. Je ne me sens pas auteur et me considère davantage comme un artisan que comme un artiste.

neuillyComment êtes-vous intervenu sur Neuilly sa mère ? Avez-vous participé au casting ?

Oui. J’ai passé beaucoup de temps, avec Marie-France Michel qui a cherché et trouvé les enfants qui jouent dans le film, à faire les essais, les faire répéter, etc. Je me suis aussi impliqué dans le casting des adultes, avec les deux producteurs, Djamel Bensalah et Isaac Sharry. Et j’ai assumé le reste du travail de réalisation : choisir une équipe, trouver les décors, suivre un plan de travail, faire des choix, tourner, monter, tenir notre calendrier et notre budget… Le coût du film à l’arrivée était de 4,1 millions d’euros et nous avons tourné en 40 jours (8 semaines).

Qu’attendez-vous des professionnels, comédiens et figurants?

Dans ce film, j’ai davantage dirigé les enfants et adolescents que les comédiens, qui étaient très compétents, drôles, instinctifs et inspirés, avec une grande intelligence du texte, comme Denis Podalydès et Rachida Brakni. Beaucoup de guest stars ont aussi apporté leur personnage et improvisé dans le cadre d’une scène écrite : Eric et Ramzy, par exemple.

Concernant les figurants, les bons sont ceux qui jouent, et les mauvais ceux qui n’en ont pas le goût. Je leur demande d’être sincères et de croire à ce qu’ils font. Quand ils n’y croient pas, ça se voit ; s’ils y croient, le mouvement général permet de se concentrer sur les acteurs.

Quant aux techniciens, 90 % d’entre eux connaissent parfaitement leur métier et le font avec talent. Ils sa- vent ce que l’on attend d’eux : avoir envie de faire, être inventif, loyal, à l’écoute….

Les collaborateurs plus proches – le décorateur, le directeur de la photo, l’ingénieur du son… – doivent à la fois avoir une inspiration correspondant à celle du metteur en scène, être capables d’aller au-delà de ce qu’on leur propose et parfois proposer l’inverse de ce que l’on a imaginé. Ce sont des alliés et en même temps des gens qui vous bousculent dans vos certitudes, pour le bien du film. Un di- recteur de la photo, c’est quelqu’un qui réfléchit au thème, qui voit la direction générale que le metteur en scène veut lui donner et y amène son grain de sel, son inspiration propre. Tous ces techniciens se doivent à la fois d’être des éponges, absorbant les idées du metteur en scène, et d’avoir du ré- pondant. C’est particulièrement vrai pour le directeur de la photo, pour la déco et, en bout de course, pour le montage.

Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui voudrait commencer à faire de la réalisation ?

gjl-realisateurPersonnellement, je n’ai pas été mû par une force intérieure qui me conduisait à faire de la mise en scène envers et contre tout pour raconter mes propres histoires. Pour les réalisateurs en herbe qui ont le feu sacré, un parcours comme le mien serait une perte de temps. Mieux vaut commencer le plus tôt possible, d’autant plus qu’il existe aujourd’hui des moyens techniques pour faire des films à des coûts ridicules : dans Big City, jouait un garçon de 12 ans qui tourne des films en DV : il les monte sur l’ordinateur de sa mère, fait un peu de truquages, du son… C’est la meilleure des écoles. Travailler sur les plateaux de cinéma n’est pas sans intérêt, mais je pense qu’on en retire peu de choses utiles pour le travail de réalisation par rapport au temps qu’on y passe. Un des meilleurs endroits pour apprendre, c’est le montage : on s’y confronte vraiment à la matière du film, à la façon dont une scène marche ou pas et aux possibilités de l’améliorer, alors que sur le tournage, un technicien peut rarement se concentrer sur ce qui fait la spécificité du film. Cela me pose d’ailleurs problème, après avoir été assistant pendant 25 ans : quand je tourne en tant que metteur en scène, j’ai besoin d’une grande force de concentration pour m’occuper comme je le dois des acteurs et du texte –, et non pas de choses qui ne sont plus de mon ressort. Le changement de point de vue n’est pas facile.

Comptez-vous maintenant continuer la mise en scène et rompre avec le métier d’assistant ?

Oui. Après le montage de Neuilly sa mère, j’ai fait un dernier film comme assistant, Un Balcon sur la mer, de Nicole Garcia. J’y ai pris beaucoup de plaisir, car Nicole Garcia est un metteur en scène passionnant. Mais le gros succès de Neuilly sa mère – 2,5 millions d’entrées – me vaut aujourd’hui de nombreuses propositions de travail : des producteurs qui ont une histoire me demandent de la fabriquer, en y amenant ma patte, ce qui me convient bien.

propos recueillis par Jean-Baptiste Vautrin