Après Lille en 2004, c’est à une nouvelle ville française de devenir phare culturel, ainsi en a décidé l’Union Européenne. Plus de 500 projets à mettre en place et de nombreux chantiers sont en cours, Marseille, ce n’est pas que la pétanque, le foot et le pastis.

Autant être honnête, le quidam se rend rarement à Marseille pour ses festivals, ses concerts ou ses expositions. Bien sûr, il existe des théâtres de renom comme celui du Merlan ou le Toursky et la cité phocéenne a son opéra, jalousement protégé par la municipalité. Mais en comparaison avec les cités voisines d’Aix-en-Provence et d’Arles, Marseille a du mal à soutenir la comparaison malgré sa taille. Alors autant dire que la nomination en 2009 de Marseille, capitale européenne de la culture en duo avec Kosice en Slovaquie, a été un électrochoc dans les structures politiques et culturelles locales.

On s’est aperçu du retard que la ville avait pris, année après année, dans le domaine culturel. Subitement, c’était devenu indigne d’une ville qui se veut être la capitale du Midi. On défonce les trottoirs du Vieux-Port, on ravale le Palais Longchamp, on fait surgir de terre le musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée à coté du Fort Saint-Jean, on met en chantier le Centre Régional de la Méditerranée du côté des bassins de la Joliette, etc. Bref, c’est l’heure du grand bond en avant culturel et la ville est en plein branle-bas, au grand désarroi des autochtones qui ne comprennent pas cette frénésie soudaine et les embouteillages monstrueux, conséquence la plus directe.

Cela n’empêche pas Jacques Pfister, président de la Chambre de commerce et d’industrie, mais aussi de l’association Marseille-Provence 2013, et Jean-François Chougnet, directeur de l’association d’afficher leur confiance envers leur projet. En montant en puissance, il emportera l’adhésion des citadins et grâce au pouvoir d’attraction de l’Art, il amènera les touristes en masse à Marseille, tout du moins dans l’esprit de ses promoteurs.

Mais, au cas où cela ne suffirait pas, les villes voisines, Aix-en-Provence, Martigues, Istres, Arles, La Ciotat, ont été enrôlées sous la bannière Marseille-Provence 2013. Leurs manifestations locales, labellisées « capitale européenne de la culture » auront ainsi une dimension internationale. Etant traditionnellement terres de festivals reconnus, la plupart de ces cités n’avaient pas le besoin vital d’être embarquées dans le même bateau, mais un label est toujours bon à prendre : question d’images.

Etre labellisé et disparaître quand même ?

Pour un artiste de spectacle vivant à Marseille, au sein d’une petite compagnie ou même d’une compagnie de taille moyenne, obtenir le label « Marseille-Provence 2013 capitale européenne de la culture » est une question de pérennité et voire de survie.

Pourtant, décrocher le label ne veut pas forcément dire subvention de la part des pouvoirs publics ou même de l’association MP 2013. Les 91 millions d’euros budgétés pour l’événement (financés aux deux tiers par les collectivités, le dernier tiers l’étant par l’Etat, le mécénat et l’Union européenne) ont été essentiellement distribués aux communes et aux grosses structures. 250 projets répondant au cahier des charges ont finalement obtenu in extremis le label. Mais un label sans subvention. C’est le cas pour au moins 60% des compagnies de spectacle.

Alors pourquoi être labellisé à tout prix ?

« Parce que lorsque l’on est labellisé, on est en droit de demander par la suite des subventions à des organismes comme la Drac, qui nous ignorait superbement avant ça, mais aussi à l’Europe » avance Cyril Rovery dont la compagnie Opéra pour Tous a reçu le précieux sésame. « Cela faisait deux ans et demi qu’on l’a demandé ce label, on l’a reçu fin juin seulement. Mais on n’est pas les seuls dans ce cas. » Il est vrai que la particularité marseillaise joue aussi. L’opéra est contrôlé par la municipalité, et la direction, appuyée par les élus dont elle dépend, n’apprécie vraiment pas que des compagnies indépendantes lui disputent son monopole sur les créations et les représentations d’art lyrique. Mais, ce n’est pas seulement avec la Maison de la Culture de Marseille qui, avec trois ou quatre jours de représentations et avec les compagnies de théâtre ou d’art lyrique, que l’on peut monter un projet sérieux.

A moins d’être une grosse structure bien subventionnée ou à l’opposé une petite compagnie ne comprenant que des amateurs n’ayant donc pas de soucis de trésorerie, les autres feront le grand écart entre le spectacle à assurer et l’absence d’aide qui va être dure à assumer. « Une fois de plus je vais mettre la main à la poche, assure Cyril Rovery, mais sans aucune aide on risque de jeter l’éponge après 2013. Alors, on cherche des mécènes ».

Attendre le bilan en terme d’emplois pérennes pour les artistes, et voir combien de structures associatives resteront debout, c’est l’inquiétude des artistes locaux de spectacles vivants. Ils craignent que seuls un ou deux gros projets qui, retransmis à la télé et sur laquelle la mairie va concentrer tout son service communication, fassent vitrine et que le reste soit oublié. Comme le confie une responsable de compagnie « II y a une demande de culture populaire. Qu’on apporte la culture aux gens, c’est très bien ! Mais, on demande à des artistes professionnels de faire un boulot de professionnels avec des moyens d’amateurs. » Va t-on voir la naissance d’un festival off par réaction à des contraintes aberrantes et des moyens alloués ridicules ? L’idée n’est pas si saugrenue que cela et certains y songent très fort.

L’autre crainte, plus spécifiquement marseillaise celle là, c’est qu’Arles et Aix-en-Provence, dont les festivals sont autonomes, soient en réalité les vrais gagnants de l’année 2013, Marseille- Provence ne servant que de prétexte pour cannibaliser des dispositifs existants.