“Le malentendu commence dès l’ordonnance de 1945” 

 

Acteur de théâtre, Paul de Launoy nous livre l’avis d’un professionnel du spectacle sur la nécessaire évolution du statut d’intermittent.

 

Profession spectacle : Paul de Launoy, Pouvez-vous présenter votre parcours professionnel dans le monde du spectacle ?

delaunoyPaul de Launoy : Après avoir suivi la formation professionnelle du Cours Simon, j’ai choisi de rejoindre plusieurs compagnies théâtrales. En multipliant les interlocuteurs, j’ai ainsi appris à m’adapter à des personnes différentes, à des façons de travailler différentes et cela m’a aussi rendu beaucoup plus patient [rire]. Depuis 2003, la Compagnie du Chertemps et celle du Théâtre de l’Obe, par exemple, m’ont rapidement permis d’attaquer de grands rôles du répertoire classique. Dans le même temps, je participe aux créations de Que la porte s’ouvre d’Elsa Draïb, de Carton Palace (sur la vie des gens à la rue) et de Pomogui ! de Catherine Fantou-Gournay aux côtés de Jacques Dumontier et de Michael Lonsdale. Parallèlement, pour la télévision, après avoir été repéré par Bernard Stora pour incarner Philippe de Gaulle dans Le Grand Charles, Marcel Bluwal me dirige dans son À droite toute. Et en 2008, Benjamin Bellecour, jeune directeur de la programmation du Ciné 13 Théâtre, m’offre l’occasion de présenter son festival de formes courtes théâtrales : Les Mises en Capsules. J’y crée alors le personnage de Georges, maître de cérémonie flegmatique, dont les intermèdes, renouvelés tous les ans depuis lors, m’ouvrent de nouvelles perspectives. J’y fais des rencontres décisives dont celle de Laurent Ferraro qui me prépare actuellement un one man show “hitchcockien”. Emilie Chevrillon et la jeune plasticienne Coralie Maniez qui me proposent alors un rôle dans leur « SI… », d’après des inédits de Ionesco : Le Nouveau Locataire et Scène à 4. En parallèle, j’ouvre un atelier théâtre dans le centre de Paris, je mets en scène un son et lumière sur les ruines de l’abbaye de Savigny et participe au développement d’autres spectacles pour la saison prochaine…

 

N’avez-vous pas l’impression d’assister à un dialogue de sourds entre le monde des intermittents du spectacle et les administrations publiques ?

Certainement, le malentendu commence dès l’ordonnance de 1945 qui donne une définition réductrice du « spectacle vivant », conduisant à l’exclusion d’une catégorie de professionnels du spectacle, pourtant reconnue par ailleurs. En limitant l’identification d’un spectacle vivant à l’emploi rémunéré d’un « artiste », l’ordonnance exclut du bénéfice de Pôle Emploi Spectacle les techniciens engagés pour assurer des représentations n’employant pas d’artistes contre rémunération. Outre que cela empêche les petites troupes débutantes d’émerger en ne rémunérant pas les artistes, cela sanctionne également les troupes qui font appel à des techniciens professionnels, même s’ils sont dûment rémunérés. On sait les sacrifices que sont capables de consentir les artistes créateurs de spectacles, il est pour le moins étonnant que leurs efforts soient récompensés par une exclusion du monde des (spectacles) vivants.

 

Si l’ordonnance mérite d’être sérieusement toilettée, il y a peut- être aussi des mesures à ajouter…

Il me vient immédiatement à l’esprit la désignation des professionnels du spectacle par le vocable « d’intermittents », défini par les Assedic et qui nous désigne, non par notre qualité professionnelle ou artistique, mais par notre qualité de « chômeurs ». Il en résulte une perception tronquée de la réalité de nos métiers. Je pense, comme beaucoup de mes collègues, qu’il serait pertinent que la loi prenne en considération la communauté du spectacle et de l’audiovisuel, comme une entité pour nous permettre notamment d’accéder à une complémentaire santé collective multi-employeurs d’autant plus nécessaire pour les professionnels que nous sommes, que notre statut est sou- vent précaire.

 

On dit que les intermittents coûtent cher à la collectivité en terme d’indemnités de chômage.

C’est précisément à mon sens une aberration du système. Je constate que les professionnels, permanents et intermittents confondus, du spectacle vivant et de l’audiovisuel, sont plus de 400 000 en France. Ce nombre est considérable et regroupe aussi bien les artistes que les techniciens. Certains font de très belles carrières, mais il faut reconnaître qu’une bonne majorité d’entre eux sont dans des situations précaires, même si cela fait partie de la vie des professionnels du spectacle ou de l’audiovisuel qu’ils ont librement choisie. Je pense qu’un des aspects de la modification de la législation devrait porter sur une réorganisation de la solidarité entre les professionnels. Il y a certainement des rationalités à trouver, s’appuyant sur une réalité de nos professions remarquablement représentatives dans notre pays. En regroupant les cotisations de l’ensemble des acteurs des secteurs du spectacle vivant, du cinéma et de l’audiovisuel, que l’on considérerait comme une seule entité de professionnels permanents et intermittents confondus, les uns ne pouvant travailler sans les autres, l’équilibre financier serait vite trouvé . Et pour en finir définitivement avec cette notion fort stigmatisante du chômage des intermittents, il faudrait substituer à ce régime une aide au développement artistique qui permettrait aux pouvoirs publics d’adopter une position politique claire sur ce secteur d’activité et aurait pour conséquence la mutation de la notion de chômeurs du spectacle (intermittents) en celle de professionnels du spectacle.

 

Un simple changement d’appellation suffira-t-il à changer le statut ?

Au-delà d’une transformation des mots et du nouveau concept d’aide solidaire, ce dispositif devra reposer sur les compétences humaines et techniques, ainsi que sur l’expertise de Pôle Emploi.

 

De quelle manière ?

Je ne sais pas. Peut-être en déplafonnant les cotisations sociales du fonds de solidarité artistique et technique. En mettant au même niveau les cotisations sociales des permanents et des intermittents. En instaurant une cotisation obligatoire pour toutes les représentations effectuées sur le territoire français par des productions étrangères, qui viendra alimenter le fonds de solidarité. Cette cotisation pourrait être calculée sur la base des salaires des artistes et techniciens du spectacle non déclarés par les sociétés françaises. Pour lutter contre la précarité, il faut revoir également les règlements d’assimilation du travail et prendre en compte les sommes versées des cotisations sociales dans les recettes dues aux spectacles.

 

En matière de précarité se pose aussi la question de la fin de parcours des « saltimbanques ».

C’est un vrai problème en effet. Il faudrait généraliser la prise en compte des formations assurées par les intermittents pour permettre l’accompagnement de la reconversion des artistes ou techniciens. La règlementation actuelle ne permet pas de reconnaître le travail d’un professeur de guitare ou de théâtre dans un centre rural d’animation par exemple. Les cotisations sociales patronales et salariales pour ce type de travail devront être les mêmes que celles des professionnels permanents ou intermittents du spectacle et de l’audiovisuel, avec toutefois une partition sur le temps de travail modulée en fonction de l’âge de l’artiste/formateur, pour que cette mesure soit vraiment un soutien à la reconversion. Et au-delà de la reconversion, il est important d’assurer une transmission des savoir-faire. Le rôle des artistes et techniciens en matière de développement culturel est essentiel sur toute l’étendue du territoire.

 

Merci Paul de Launoy pour toutes ces précisions, souhaitez-vous ajouter un mot de conclusion ?

La France est un pays riche de son histoire et de sa culture. Cela lui confère un caractère universel qui la rend capable d’être le réceptacle de toutes les formes existantes d’expression artistiques. Il nous faut donc nous doter d’une législation à la hauteur de cet enjeu, qui défende les métiers du spectacle et de l’audiovisuel notamment et qui nous permette de répondre aux attentes d’un large public qui dépasse les seules limites de nos frontières.

Propos recueillis 

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