Dans « Métallos et dégraisseurs », la compagnie Taxi Brousse retrace deux siècles d’Histoire des  hauts-fourneaux de Sainte-Colombe-sur-Seine en Côte d’Or. Une fresque poignante, construite  grâce aux témoignages d’habitants et d’ouvriers de l’usine, broyés par la mutation de la métallurgie  française, les impératifs de la finance et de la rentabilité à tout prix.

Dans le public, des larmes ont coulé lors de la première. Cinq ans et 130 représentations plus tard, l’émotion était toujours palpable dans cette salle des fêtes de Sainte Colombe-sur-Seine où la troupe Taxi Brousse revenait jouer, début mai, Métallos et dégraisseurs devant ceux qui ont inspiré cette pièce. Bien plus qu’inspiré, puisque sur scène, c’est leur vie et celles de leurs ancêtres, qui se jouaient sous leurs yeux. Une saga de 200 ans, des premiers fourneaux du XIXe, au « dégraissage » progressif des effectifs au fil des re prises  et des fermetures d’ateliers.

barbara2Car le texte, écrit par Patrick Grégoire, est basé sur des interviews d’anciens et actuels ouvriers de l’usine, aujourd’hui propriété d’Arcelor Mittal. Des témoignages recueillis par l’un des acteurs de la pièce, Raphaël Thierry, lui-même fils d’ouvrier de l’usine. « Les gens ne comprenaient  pas forcément l’intérêt des  questions, et ce que  l’on pouvait bien vouloir en faire », se souvient Alexis Louis-Lucas, directeur de la Compagnie.  « Certains n’étaient jamais  allés au théâtre. Et quand ils ont découvert la pièce, et reconnu les  tranches de vie qu’ils nous avaient partagées, l’émotion était très forte. Certains sont venus nous voir pour nous remercier de leur avoir rendu  leur fierté, d’autres étaient écoeurés par cette machine infernale que sont  les hauts-fourneaux ». Sur scène, Alexis joue ainsi l’Usine, une mère  nourricière pour ses ouvriers, mais aussi destructrice, qui se moque d’eux et leur impose des cadences  infernales. Qui souffre également lorsqu’on l’ampute de ses machines et de ses effectifs.

À chaque représentation, ils emportent avec eux 24 clichés, les portraits de ceux qui ont confié  leurs souvenirs, ces héros métallos. « On les promène avec nous, et on les présente au public à la fin de la  pièce. Certains sont morts depuis, et l’émotion est encore plus forte. On ne vit pas, en tant que comédien des aventures comme celle-là tous les jours. »

Un public qui ressort indigné

barbara1Au delà de la transmission de cette mémoire, l’histoire touche bien au delà de Sainte-Colombe-sur-Seine. Gandrange, Florange… Les exemples de villes sinistrées par la disparition de ces « métallos » ne manquent pas. La troupe a pu s’en rendre compte en jouant au festival d’Avignon, en 2011. « Le public n’est pas le même, et pourtant, à la fin de la pièce, les réactions étaient tout aussi fortes » , se souvient Alexis Louis-Lucas. « Les gens ressortaient indignés par le traitement subi par ces ouvriers, attachés à une usine qui les détruit progressivement. Ils se rendaient compte que, eux aussi, à leur niveau, vivaient parfois la même chose. »

Le succès rencontré leur permet de  sortir du lot, de se faire connaître et  d’enchaîner les représentations. Et en 2013, pour la 100e de la pièce, l’équipe est de nouveau à Avignon.  Pour l’occasion, le maire de Sainte-Colombe avait fait le déplacement, en compagnie du leader syndical du site de Florange, Édouard Martin. Ce qui fait la force et le succès  de la pièce, c’est sa portée universelle  et le message politique qu’elle  transmet, « Les usines qui ferment, les actionnaires qui délocalisent, les  ouvriers et salariés qui souffrent…  c’est toujours d’actualité ». Désormais, la compagnie pense à la suite, tout en continuant de jouer « Metallos  et dégraisseurs », notamment en Belgique et en Suisse cet été. Ils sont à la recherche d’une autre idée, mais qui sera, à n’en pas douter, elle aussi engagée.

Jacques GUILLOUX