graab1Il est tout ça à la fois Gilles Raab. On pourrait ajouter aussi trouvère et restaurateur de patrimoine pour être plus complet. Le domaine de la Ferté-Clairbois est son fief.

Ce qui était encore il y a une vingtaine d’années un corps de ferme perdu dans la Mayenne, à deux pas du pittoresque village de Sainte-Suzanne, est devenu un véritable morceau de XIIIe siècle, qui fait pendant au château médiéval voisin perché sur son rocher.

Nous sommes en 1966 et cette année-là, Gilles Raab, jeune banlieu- sard d’île-de-France vient de réussir le concours d’entrée de l’École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre que l’on appelait encore « la Rue Blanche ». Gilles, qui a pour condisciples

Jacques Weber et Francis Huster, est distingué un an après par Jean Meyer, et joue au Théâtre Michel dans la pièce de Montherlant La ville dont le prince est un enfant. Il la jouera un bon millier de fois, jusqu’à son départ pour le service militaire. A son retour, Gilles, qui n’a clairement plus l’âge de jouer un rôle d’adolescent, n’arrive pas à trouver la moindre ouverture dans les grands théâtres parisiens. « Alors j’ai fait un peu de tout, explique t-il sans ambages. J’ai tenu des rôles avec de petites compagnies de théâtre, j’ai joué dans les MJC, les écoles, j’ai fait du théâtre de rue et du one man show. En même temps j’apprends aussi la cascade en fréquentant l’école du cirque. »

graab2Allier théâtre et histoire

Le premier grand tournant va être la rencontre avec le cascadeur Yvan Chiffre qui cherche des cavaliers pour son spectacle Les chevaliers du temps. « Je me suis présenté, alors qu’en réalité je n’avais que trente heures de cheval à mon actif, avoue en souriant le futur seigneur de Clairbois. Mais j’ai été pris. Je pense qu’il devait manquer de monde. » Gilles va passer deux ans à apprendre le métier de cascadeur équestre au sein de la troupe, il va aussi apprendre à se battre à la lance et à l’épée et toute la formation technique du chevalier si l’on peut dire. Fort de cet enseignement mais désirant aller plus loin, il quitte Yvan Chiffre et ses cascadeurs en 1978 et va créer sa propre compagnie Spectacle et chevalerie. Gilles Raab, féru d’histoire, voulait plus qu’une simple troupe de cascadeurs en armures de spectacle. Il désirait davantages de références historiques, mais aussi produire de véritables histoires mises en scène. C’est ainsi que, entre les combats, les comédiens-chevaliers déclamaient des dialogues issus du Roi Lear de Shakespeare.

Petit à petit, la troupe se fait connaître et Gilles Raab participe à de nombreux spectacles médiévaux, dont le tournoi international de chevalerie organisé à Paris à l’occasion du millénaire capétien en 1987, fut l’un des points d’orgue.

La même année, la mairie de Sainte-Suzanne, qui fête le 900e anniversaire de la résistance victorieuse du château local face aux armées de Guillaume le Conquérant, fait appel aux talents de Gilles et de sa troupe. « Les circonstances, ou la Providence, selon ce que l’on croit, ont fait que j’ai enfin trouvé le domaine que je cherchais ». Habitant la banlieue parisienne, cela devenait de plus en plus pénible d’aller chercher ses chevaux à plus de 50 kilomètres de son domicile. Désormais les spectacles seront joués à domicile.

La ferme de Clairbois est achetée en 1990 et un an plus tard, La coutume du Maine, premier spectacle monté sur place, est joué. Mais faire revivre le Moyen-âge seulement le temps d’un tournoi ou d’un fabliau ce n’est pas assez pour notre nouveau propriétaire qui veut donner un vrai cadre à sa passion. Alors va surgir de terre le domaine d’un petit seigneur du XIIIe siècle, avec palissades, écuries et surtout, un donjon installé sur une motte et entouré de douves. Celui-ci terminé en 2008 est non seulement l’attraction d’un grand spectacle intitulé comme il se doit L’attaque du donjon, mais il fait les délices des groupes de reconstitution historique ravis de passer la nuit dans les mêmes conditions, au détail près, qu’il y a huit siècles.

Faire revivre un bout de Moyen-âge quelque part dans le Maine, c’est le pari de Gilles Raab, réussi avec l’appui de quelques comédiens et de nombreux enthousiastes. Cet engagement de toute une vie lui aura per- mis de concilier ses trois passions « le sport, l’histoire et le théâtre ».