Dans moins d’un an, Marseille sera capitale européenne de la culture. Plus de 500 projets ayant tous la Méditerranée en ligne de mire ont été labellisés et construiront l’année 2013 dans la Cité phocéenne et les 75 communes associées. La compagnie Opéra Théâtre Pour Tous, veut se servir de ce tremplin pour pérenniser un objectif ambitieux.

L’opéra souffre d’une image élitiste. Cyril Rovery directeur artistique et fondateur de la compagnie Opéra Théâtre Pour Tous, n’est pas le premier à faire ce constat. L’opéra revient cher, il y a trop de charges, tout le monde le sait en France. C’est bien pour cela d’ailleurs qu’on a supprimé les troupes depuis les années 70. Deux grandes figures de l’art lyrique, le baryton Gabriel Bacquier, le ténor Michel Sénéchal et le Parlement des artistes à leur suite, ont déploré cette situation en 2008 et tenté de sensibiliser le gouvernement à la situation des artistes lyriques français qui souffrent de la mondialisation. Pour le moment on reste dans le domaine du constat car actuellement rien n’a été vraiment entrepris pour réhabiliter l’opéra.

Ce qui vaut pour toute la France, vaut donc aussi pour Marseille. Et même un peu plus qu’ailleurs, selon Cyril Rovery : « On est peu fournis au niveau des projets d’opéra. Pourtant ici la tradition lyrique est ancienne, mais la politique artistique locale est autre et, avec les restrictions de budget, il y a au final peu de représentations. » Trois idées sous-tendent alors la création d’Opéra Théâtre Pour Tous. « Les troupes d’opéra marcheraient en France si elles existaient encore. Trop de charges amènera la fin pour les opéras. Il n’existe pas de tremplin, ni de centre d’insertion pour les artistes classiques. » La solution, selon Opéra Théâtre Pour Tous, est d’ « amener l’opéra et la musique là où on n’a pas l’habitude de les voir ».

RoveryUrgence à agir

Etre dans l’action est le leitmotiv de la compagnie et de son directeur artistique. « On se dit seulement qu’il y a urgence à agir, à fracturer la barrière élitiste de l’opéra et de trouver d’autres façons de faire. » Pour commencer en se souvenant que « l’opéra est né du théâtre et pas le contraire » on joue hors des murs des opéras en revenant à l’esprit de la comedia dell’arte, quand les troupes jouaient à n’importe quel endroit possible.

Toujours dans cet esprit théâtral et proche du public, il faut fracturer la barrière de la langue entre le narratif et le chanté. Le premier spectacle de la compagnie, Don Giovanni, a été donné en septembre dernier au Palais Longchamp. Et selon cet esprit, si la partie chantée était de Mozart, le Don Juan de Molière a pris le relais pour la partie narrative. Pas de grands costumes non plus, pas de chœurs, pas d’orchestre, juste le chant accompagné d’un piano. En revanche une utilisation intensive de la vidéo projection et des effets visuels car, « l’avenir du spectacle vivant c’est ça, explique Cyril Rovery. La dimension cinématographique du spectacle prend sa place dans nos représentations et notre projet c’est d’intégrer cela au maximum. Dans un monde où l’image est importante, nous devons attirer les aficionados de l’opéra et les non aficionados. Il est évident alors que nos spectacles et nos master classes ne doivent pas se faire dans des salles dédiées. Jouer en dehors des maisons d’opéra, c’est une volonté de démocratisation, mais nous ne voulons pas non plus nous substituer au théâtre et à l’opéra. Nous n’avons pas la prétention de sauver l’opéra, mais simplement d’apporter autre chose.»

Une démarche militante

Amener le spectacle lyrique à ceux qui ne fréquentent pas les théâtres, c’est une démarche louable, mais L’Opéra Théâtre Pour Tous se rend compte que ce sera inutile si les tarifs restent hors d’atteinte à monsieur et madame-tout-le-monde. « On fait de l’art dans le quotidien des gens et notre but est d’arriver à proposer des tarifs raisonnables. Les places pour Don Giovanni à 28 euros n’étaient pas accessibles, à notre grand regret.» Ce qui n’a toutefois pas empêché 1500 spectateurs en tout d’assister aux sept représentations données. Offrir des représentations moins chères au public là où il se trouve afin qu’il connaisse l’opéra, se fait aussi dans l’intérêt des artistes. « C’est une démarche d’économie sociale du spectacle, souligne Cyril Rovery. C’est une démarche militante pour les artistes avec les artistes. Nous n’avons pas de salle attitrée, donc nos activités sont moins chères et nous avons alors la possibilité de donner plus de représentations et de faire plus de master classes, car là aussi beaucoup d’artistes d’opéra français ont reçu un enseignement incomplet. Notre vocation est de recevoir des gens de tous niveaux, des jeunes sortant des conservatoires ou plus âgés en réinsertion. »

Reste à trouver l’argent, car il en faut au départ pour amorcer la dynamique d’une telle machine et se faire connaitre. Cela, Cyril Rovery l’explique en toute transparence. « Un spectacle comme Don Giovanni nous a coûté 87.000 euros. Nous avons eu 30.000 euros de recettes, 5.000 euros de mécénat et une marque de prêt-à-porter qui nous a prêté les vêtements, et enfin 17.000 euros de subventions » . Et le reste ? « le reste c’est de ma poche, répond franchement le directeur artistique. Oui, ce sont les économies de toute une vie, mais c’est sans regret car l’opération est réussie et l’avenir s’ouvre à nous. Cependant, tempère t-il, aujourd’hui on ne peut plus s’en tirer qu’avec les subventions et notre vocation, c’est un jour de devenir d’intérêt public ».