Depuis six mois, c’est un combat qu’elle mène quasiment seule. Après son intervention sur le plateau de « Touche pas à mon poste » le 30 mai dernier, Sophie Tissier a été définitivement rayée des effectifs de D8. Cette opératrice prompteur intermittente voulait dénoncer une baisse brutale de 25% de son salaire après un changement de convention collective sans négociation.
Aujourd’hui, elle continue de se battre, pour elle mais aussi pour tous les intermittents.

Pourquoi avoir agi de la sorte ?

Je n’avais plus d’autre choix, c’était devenu une nécessité. Cela faisait un mois et demi que j’essayais de négocier, la DRH de Canal+ était injoignable et on me dissuadait de mobiliser les autres intermittents, je me heurtais à un mur… Quand les téléspectateurs regardent l’émission de Cyril Hanouna, ils ont l’impression que tout le monde se marre, mais dans les coulisses ce n’est pas aussi rose. Je savais que je me grillais en faisant cela, mais je n’avais pas d’autres choix pour me faire entendre, et j’étais déjà clairement sur la sellette en ayant signifié mon mécontentement.

C’est bien plus que votre cas personnel qui est en jeu ?

C’est vrai. Cette situation m’a permis de me rendre compte des difficultés rencontrées par les intermittents pour se défendre. Les syndicats ne nous représentent pas, ne nous tiennent pas informés, et bon nombre de mes collègues, même s’ils m’ont apporté leur soutien, n’osent pas s’engager. Je veux donc que mon combat serve à changer les choses. Je veux essayer de réunir toutes les professions, les techniciens comme les artistes, pour être soudés face aux chaînes et à ceux qui abusent de notre précarité. Il y a un véritable gouffre juridique qui permet aux employeurs d’abuser de la précarité. Même si nous travaillons très régulièrement pour des émissions depuis de nombreuses années, ils peuvent nous jeter sans aucune justification professionnelle.

Quel est aujourd’hui votre objectif ?

Je ne fais pas cela pour me mettre en avant, je me bats pour les intermittents et plus généralement contre la précarité. J’ai donc lancé une pétition pour réunir un maximum de signatures, de tous les métiers intermittents, et la déposer sur le bureau de la ministre de la Culture et du ministre du Travail qui gère les conventions collectives. Je veux que le feu prenne et grossisse. Il ne s’agit pas de demander des CDI pour tout le monde, mais de construire des garde-fous pour ne pas être viré comme cela du jour au lendemain parce qu’on conteste une baisse de salaire injustifiée et que l’on a eu le courage de vouloir se défendre. Nous ne sommes pas jetables comme des mouchoirs en papier.

Si vous deviez le refaire ?

Même si ma situation financière est désormais beaucoup plus compliquée, je ne regrette pas. Ma fierté et mon honneur sont saufs. Je n’ai pas baissé mon froc. Je suis juste normale, avec suffisamment d’amour propre pour ne pas me laisser écraser par le bulldozer Canal+. Mais le pire est qu’ils sont à priori dans leur droit en me rayant de leur liste. Je pourrais aller aux prud’hommes pour réclamer un CDI, car c’est le seul moyen légal d’obtenir réparation. Mais c’est alors comme renier son intermittence. Pourtant, c’est une «pirouette» juridique que nombre de techniciens intermittents ayant subi une telle injustice ont déjà effectuée, et ont souvent eu gain de cause. Et c’est grave de devoir en arriver là, d’encombrer les tribunaux pour obtenir des droits qui sont pourtant fondamentaux. Il faut changer les règles, les faire évoluer. C’est devenu indispensable.

 

UnknownUne faute professionnelle pour D8

La chaîne a de son côté, dénoncé dans un communiqué « une faute professionnelle caractérisée », précisant qu’elle “a continué à employer Sophie Tissier jusqu’à la fin de la saison 2012-2013”. “Cela n’a pas empêché la poursuite d’une attitude de dénigrement vis-à-vis de l’entreprise. Pour ces raisons, et afin de garantir la maîtrise de l’antenne, D8 a décidé de ne pas l’inclure dans ses plannings d’émissions pour la rentrée ».